Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/19

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— Je ne t’ai pas vu entrer ce soir, Jacques. Tu es revenu de bonne heure ?

— Sur les dix heures.

— Tes amis m’ont dit que tu te faisais casanier.

— Ils ont raison. Ils secrètent un ennui capable de vieillir les plus robustes. Je te défie de passer une soirée avec eux.

Et il lui parle d’eux ; il les déteste. Seul Noël Angers échappe au massacre. Il a de gros défauts, Noël, que tout le monde connaît, mais il n’a pas les défauts des autres. Jacques aime parler de Noël.

Lorsqu’ils sont seuls comme ce soir, le frère et la sœur causent volontiers, elle, attentive à ne pas piquer la méfiance de son frère, lui, sur ses gardes, incapable de fuir ce que dans sa raideur il croit une occasion de faiblesse. Que de fois il était venu à deux doigts de parler, pour vrai ! L’affection très calme de sa sœur le dilatait.

Un jour, au collège, il avait reçu de sa mère une lettre annonçant les fiançailles de Monique. Jacques s’attendait à la nouvelle ; la nouvelle avait pénétré au fond de lui-même et blessait. Qu’est-ce que cette douleur signifiait ? Était-il si attaché à Monique ? Plus qu’il pensait, beaucoup plus. On ne verrait plus Monique, le vendredi, aller aux emplettes pour la maison, pour les garçons, préparer les bouquets et résoudre avec Madame Richard les menus problèmes du Verger ; c’était fini. Ce départ était triste comme une première faute grave. Les vieilles demeures, lorsqu’elles commencent à céder, on ne sait pas jusqu’où ça peut aller. Jacques avait prolongé sa méditation sur ce thème. Sa pensée battait dans le vent mauvais