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LE VERGER

ment à l’addition. Il n’aurait jamais, méprisable comme il était, le courage de faire pleurer sa mère. Le vieux péché, réveillé, étirait en baillant une patte qui montrait des griffes, et tout pouvait être remis en question. Pour le moment c’était une défaite. L’affection, qu’il pensait apaiser par l’aveu brusqué de sa décision, avait trouvé un dangereux excitant dans la bravoure sans parade de Louise. Il cherchait la main qu’il avait abandonnée. Il était seul avec la honte qui lui tordait la figure. Et pourquoi ne pas mettre les choses au pire ? La serveuse, qui l’observait dans la glace, le regardait comme il avait fait l’oncle Paul au retour des funérailles. Ils avaient le même air désabusé qui signifiait : C’est tout. Je me croyais fort, j’ai perdu.

L’Angélus du soir tombait sur la rue Buade comme un glas.

Louise retournait chez elle par les petites rues.

Les fillettes dansaient à la corde et traçaient de grands chiffres sur les trottoirs ; elle passait au milieu d’un bonheur qui ne l’offusquait pas. Elle fut soulagée de trouver désert le vestibule, et se précipita dans sa chambre. Estelle l’avait entendue entrer. Elle ouvrit la porte que Louise avait poussée sur elle. Le chapeau, les gants, la bourse, gisaient sur une chaise, et Louise étendue sur le lit, le visage dans un oreiller. La demi-obscurité de la pièce empêchait Estelle de voir les soubresauts des épaules. Elle se pencha vers Louise et sa joue toucha une joue que les larmes dévoraient.