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LE VERGER

ces et les dérobades. Le jeune homme tentait en vain de s’absorber dans les problèmes infinitésimaux de la conduite ; les coulis d’air chaud et la stridulation de la cigale énervaient à la longue dans les silences de plus en plus tenaces.

— Tu ne laisses pas moisir tes pneus, dit Lucien.

L’oncle Paul s’éveilla :

— Ton père ne t’a-t-il pas promis de te faire acquitter les frais de la prochaine contravention ?

Paule crut opportun d’ajouter :

— Jacques, je vais le dire à maman.

Jacques en douce retirait le pied de l’accélérateur, et la bande chiffrée de l’indicateur glissait vers la gauche.

Une jument baie flanquée de son poulain jetait par-dessus la barrière d’un enclos un regard hautain. Le coude au bord de la portière, Lucien lui tenait tête et flairait la campagne. Il risqua une ou deux questions sur la beurrerie coopérative de Saint-Pierre, et ce fut tout. Ils quittaient le plateau. La voiture s’engagea dans la longue côte bleue cramponnée au flanc âpre de l’île et roula sur la chaussée dans l’odeur amère des ruissons argileux ; un troupeau de vaches noires ruminait la fraîcheur des mouillères, près du pont. Le ruban de l’indicateur remonta vers la droite ; Jacques se libérait au plus tôt de la promesse faite à Monique.

André et Paule poussèrent un cri. Les petits pris au collet se débattaient entre les bras velus de l’oncle Paul qui les avait surpris en plein rire, et qui rapprochait leur front sous la rude moustache taillée à mi-poil :