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LE VERGER

comme il nous en sert lui-même, mais il me devança, et dit d’un air entendu : « Ceux qui ne veulent pas avouer ce qu’ils feront plus tard, ce sont les futurs curés.» C’est idiot.

L’oncle Paul ne répond rien. Il regarde à travers les ormeaux dont les Pères Blancs d’Êverell ont planté la terrasse de leur postulat un vapeur chétif lutter, de son étrave, contre le vent et la marée ; les vagues s’emmêlent dans le foin de grève et bouillonnent d’impatience sur les galets. La promenade fortuite avec Lucien Voilard a englouti la belle humeur de l’oncle Paul.

— Tu ressembles à ton père, dit enfin l’oncle Paul ; tu te défies. Lucien Voilard est un homme d’affaires de grande lignée ; sa manufacture de Pierrefeux, tu devrais voir ça. La fusion, c’est la sécurité, Jacques ; nous réduisons les frais d’exploitation, nous triplons la production et quintuplons les revenus. Ce qui nous permet de grossir les fonds de roulement et les réserves. Et pourtant ton père balançait. Il a fallu attendre des mois, ne pas laisser une journée sans pousser l’affaire dans son cerveau revêche.

L’oncle Paul pense éblouir Jacques avec cette mathématique. Le jeune homme dit :

— Monsieur Legendre répète à qui veut l’entendre que ta prudence est une prudence de dimanche.

— C’est une plaisanterie. Rien de bien drôle.

— C’est parfois le seul moyen de sauver la vérité.

L’oncle Paul rallume sa pipe dans le creux de sa main et, sur un ton de confidence :

— Ton père a voulu m’obliger à freiner hier encore. Je ne sais pas si je devrais te conter tout cela. Tu n’es