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LE VERGER

— C’est trop grandiose.

— Peut-être, Estelle, reprit Jacques. Il faut se familiariser avec lui à force de le regarder, comme on lit un livre bien fait, comme un maître un peu austère qui cache des trésors. Il n’y a pas au Canada un coin de terre si profondément humanisé. Les cultures maraîchères et les graminées, là-bas, savez-vous que c’est la seigneurie Talon ? Il y a le château Bigot dont on parle dans le Chien d’Or, Estelle, puis le domaine de Robert Giffard, puis la maison où Montcalm avait établi ses quartiers généraux, et les battures où les Français repoussèrent les troupes de Wolfe le 31 juillet. Et les Laurentides ! une houppelande grise qui protège les coteaux et les vallons de Québec quand le vent nordit ; elles n’ont rien de grandiose, Estelle, ni la côte de Beaupré réduite à une enclave fertile que le travail des hommes arrache aux contreforts des montagnes. Le grandiose est au delà : la forêt, les lacs, le mystère d’un pays montueux dont on n’a pas achevé la découverte et la conquête.

Estelle l’écoute d’un air que Jacques lui a vu le soir de la Saint-Jean :

— Est-ce vrai que tu écris des vers, Jacques ? André m’a dit que tu cachais deux ou trois cahiers de poèmes dans tes tiroirs.

Jacques interloqué murmure :

— Le petit bougre me paiera cela !

Il avait plu et la rivière Montmorency, comme une carde, poussait vers le gouffre la peignée floconneuse de ses crues. Louise et Estelle demandèrent à Jacques de leur narrer la Dame blanche de Montmorency, une légende qu’il tenait de la vieille Marie.