Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/77

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Les garçons courent se jeter à l’eau. Ils nagent vers le large, dans une onde froide et remuante, dans un vert d’émeraude qui entre en effervescence à leur contact et émet à gros bouillons une lumière sublimée ; ils reviennent lentement vers la rive pierreuse où des maubèches trottinent à petits pas précieux. Quelqu’un tente manifestement d’allumer le poêle. C’est Monsieur Legendre. Quand Monsieur Legendre franchit la porte du chalet, les femmes évacuent la cuisine. Cet avocat aux lèvres purpurines a étudié les codes de l’art culinaire, et entend soumettre à des plaisirs raffinés le palais sceptique de ses hôtes. Jacques a songé à lui offrir un fromage de Saint-Pierre, mais comment s’imposer à tout un wagon avec ce produit infect ?

Monsieur Legendre versa le café dans des bols à fleurs bleues que l’on tenait à deux mains. Ado était parti du matin pour chez lui. Mimi, qui avait d’abord refusé de se lever, sortit de sa chambre, morose, alors que Madame Legendre proposait :

— C’est dimanche ; nous allons dire le chapelet sur la véranda.

Une dizaine de pins plongeaient leurs racines dans un sol roux moucheté d’or ; leurs cimes ajourées à l’infini scintillaient dans le soleil comme des cierges. Monsieur Legendre et les garçons répondaient à voix forte, non sans confusion, Mimi, assise à l’écart, par bribes ; elle regardait les grains de nacre glisser sous le rose artificiel et pointu de ses ongles. Le bourdonnement des insectes et le chant espiègle de la mésange casquée de noir, les premiers arômes dégagés des bocages par la chaleur matinale et fleurant la résine,