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Page:Daire - Économistes financiers du XVIIIe siècle, 1843.djvu/416

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et dont il serait empêché par les autres genres de biens, s'ils n'avaient point cette malheureuse représentation : les banqueroutiers qui déconcertent entièrement le commerce, mettant tout le monde dans la défiance, et empêchant que l'on ne puisse trafiquer par crédit et par billets, ne pourraient presque plus voler aussi impunément tout le monde, qu'ils font journellement. On sait que leur jeu et leur manœuvre sont de se servir d'une réputation bien ou mal acquise, pour acheter de tous côtés à crédit, à tel prix que l'on y veut mettre, parce qu'ils sont bien assurés qu'ils n'en débourseront jamais rien ; puis qu'ils revendent sur-le-champ, argent comptant, la moitié ou les deux tiers moins, et continuent cette fraude jusqu'à l'échéance de leurs billets, qu'ils font cession entière de biens, sous prétexte de prétendues pertes dont il les faut croire, attendu que la conviction du contraire est un procès éternel, encore plus ruineux envers ceux qui perdent, que la banqueroute même.

Et cette fraude est ce qu'il y a de moins désolant par rapport à tout le corps de l'État, attendu que la cherté que cela met à l'argent par ces crues d'usages, quoique criminel, le portant jusqu'au ciel, ainsi qu'on l'a dit, fait descendre en même temps l'autre côté de la balance, savoir celui des denrées, jusqu'aux abîmes ; l'un prend le prix des pierres précieuses, et l'autre n'est plus que de la poussière, par la prodigalité que l'on en fait, afin de parvenir à des desseins coupables. Et, bien que ces démarches ne se rencontrent qu'en quelques particuliers, elles ne laissent pas d'être contagieuses à toute la masse, parce que toutes choses ayant une solidarité d'intérêt, tant meubles qu'immeubles, la moindre atteinte qui arrive à une partie, soit en bien ou en mal, devient aussitôt commune à tout le reste.

Les blés ne peuvent hausser ni baisser considérablement en un marché, sans que cette disposition ne gagne aussitôt tous les lieux circonvoisins ; et sa continuation de trois ou quatre semaines seulement la fait pénétrer d'un bout du royaume à l'autre, de quelque étendue qu'il soit, et même plus loin.

Enfin la gangrène à l'extrémité des membres du corps humain fait périr bientôt tout le sujet, quoique toutes les parties d'abord très éloignées du mal paraissent très saines et en fort bon état ; mais c'est ce qu'on expliquera mieux dans le chapitre suivant, qui sera celui des richesses, en montrant ce qu'elles doivent être pour rendre un pays opulent, surtout lorsqu'il est fourni de denrées par la nature.

Il n'est pas encore temps de finir le récit des ravages de l'argent, et de montrer que lui seul fait plus de dégât, dans les contrées où l'on n'a pas soin de le renfermer dans ses véritables bornes, que toutes les nations barbares qui ont inondé la terre, exerçant toutes sortes de violences dont les histoires sont remplies.

Jusqu'ici, quelque grands que soient les désordres par lui causés que l'on vient de décrire, comme le sont tous crimes défendus par les lois, et qu'elles punissent même sévèrement, lorsque la justice en peut être faite, la déclamation ou la description ne pouvait guère se terminer qu'à des vœux pour en voir la cessation, quoique néanmoins quelques-uns de ces crimes, comme les banqueroutes, tirent leur principe de plus loin, savoir d'une nécessité causée par un précédent déconcertement d'État, qui n'est point du tout l'effet d'un brigandage, ou de voleurs de grands chemins. Cette malheureuse idolâtrie de l'argent, source de tous les maux, n'aurait pas ses temples si remplis d'adorateurs, s'il n'y en avait point d'autres que des sujets exposés sans quartier à la rigueur des lois.

Voici bien un autre cortège, savoir ceux qui ont soin de faire payer les tributs des princes : la rigoureuse poursuite, et les recherches qu'on en a faites dans bien des occasions, sans parler de la voix publique, purgent cet énoncé de tout soupçon de calomnie ou de discours séditieux.

C'est au contraire le plus grand service qu'on puisse rendre aux princes, de faire voir la surprise