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Page:Daire - Économistes financiers du XVIIIe siècle, 1843.djvu/420

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les choses dans l'excès en cet article d'opulence et de volupté, il y en a plus de deux cents, sans celles qui s'inventent tous les jours.

Il est donc à propos d'en faire un détail plus particulier, et de montrer que si c'est une richesse que cette ample possession de tout ce que l'esprit peut découvrir au-delà du nécessaire, c'est la situation la plus périlleuse et qui a le plus besoin de ménagement ; autrement il arrive que ce qui a été institué pour faire jouir du superflu ne sert, quand les mesures sont mal prises, qu'à priver du nécessaire, jetant en un instant un État du faîte de l'opulence au dernier degré de misère.

Les deux cents professions qui entrent aujourd'hui dans la composition d'un État poli et opulent, ce qui commence aux boulangers et finit aux comédiens, ne sont, pour la plupart, d'abord appelées les unes après les autres que par la volupté ; mais elles ne sont pas sitôt introduites, ou n'ont pas pris racine en quelque sorte, que faisant après cela partie de la substance d'un État, elles n'en peuvent être disjointes ou séparées sans altérer aussitôt tout le corps. Elles sont toutes, et jusqu'à la moindre ou la moins nécessaire, comme l'empereur Auguste, de qui on disait fort justement qu'il n'aurait pas dû naître, ou n'aurait pas dû mourir.

Pour prouver ce raisonnement, il faut convenir d'un principe, qui est que toutes les professions, quelles qu'elles soient dans une contrée, travaillent les unes pour les autres, et se maintiennent réciproquement, non-seulement pour la fourniture de leurs besoins, mais même pour leur propre existence.

Aucun n'achète la denrée de son voisin ou le fruit de son travail qu'à une condition de rigueur, quoique tacite et non exprimée, savoir que le vendeur en fera autant de celle de l'acheteur, ou immédiatement, comme il arrive quelquefois, ou par la circulation de plusieurs mains ou professions interposées, ce qui revient toujours au même ; sans quoi il se détruit la terre sous les pieds, puisque non seulement il le fera périr par cette cessation, mais même il causera sa perte personnelle, le mettant par là hors d'état de retourner chez lui à l'emplète, ce qui lui fera faire banqueroute et fermer sa boutique.

Il faut donc que ce commerce continue sans interruption, et même à un prix qui est de rigueur, quoique ce soit ce qu'on conçoive le moins, c'est-à-dire à un taux qui rende le marchand hors de perte, en sorte qu'il puisse continuer son métier avec profit ; autrement c'est comme s'il ne vendait point du tout ; et périssant, il en arrivera comme dans ces vaisseaux accrochés, dont l'un met le feu aux poudres, ce qui les fait sauter tous deux.

Cependant, par un aveuglement effroyable, il n'y a point de négociant, quel qu'il soit, qui ne travaille de tout son pouvoir à déconcerter cette harmonie ; ce n'est qu'à la pointe de l'épée, soit en vendant, soit en achetant, qu'elle se maintient ; et l'opulence publique, qui fournit la pâture à tous les sujets, ne subsiste que par une Providence supérieure, qui la soutient comme elle fait fructifier les productions de la terre, n'y ayant pas un moment ni un seul marché où il ne faille qu'elle agisse, puisqu'il n'y a pas une seule rencontre où on ne lui fasse la guerre.

Tant que les choses demeurent dans cet équilibre, il n'y a point d'autre ressource pour s'enrichir, en quelque état que l'on soit, que de forcer de travail et d'habileté sur son voisin, non pour le tromper en tâchant d'avoir sa denrée à vil prix, mais pour le devancer en adresse.

Et cette émulation devenant générale par le désespoir de s'enrichir autrement, tous les arts se perfectionnent, et l'opulence est portée au plus haut point où elle puisse être.

L'argent, à qui ce chapitre avait donné du repos, bien loin d'être le tyran de la richesse, et d'abîmer toutes les denrées, comme il fait dans la situation contraire, n'est que le très-humble valet du commerce : à peine trouve-t-il quelqu'un qui lui veuille donner retraite ; quand il se présente en trop grande