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Page:Daire - Économistes financiers du XVIIIe siècle, 1843.djvu/438

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cherchent qu'à se détruire, surtout dans une contrée où la désolation générale est en possession de former les plus grandes fortunes.

L'argent, alors, par cette survenue innombrable de concurrents, qui seront les denrées mêmes rétablies dans leurs justes valeurs, sera rembarré dans ses bornes naturelles ; de tyran et de maître, il ne sera plus qu'un esclave, et dont le service même se trouvera le plus souvent inutile ; et dans cette hausse prodigieuse de mouvement qui lui surviendrait à la suite de la consommation, une course ou deux, ou davantage, chez le prince, suivies sur-le-champ d'un retour aussi prompt, seraient imperceptibles, et ne laisseraient pas d'être un doublement de tribut qui, bien loin d'incommoder les peuples, ne serait que l'effet de leur crue d'opulence, toutes sortes de redevances tirant leur degré d'excès ou de médiocrité, non de leur quotité singulière et absolue, mais des facultés de ceux qui payent ; et ces fréquentes visions d'argent, auparavant caché ou paralytique, feraient dire qu'il y en aurait beaucoup à ces mêmes ignorants qui publient que la misère moderne vient du manque d'espèces.

Comme tout ceci ne se peut, aux pays où ce déconcertement se rencontre, que par une cessation de manières pour lesquelles, quoique très-ruineuses, on croyait mériter de fort grands établissements, on n'aura aucune peine à comprendre que, bien loin que de pareilles mesures fussent un sujet de mérite et l'effet d'un grand savoir, on leur est au contraire uniquement redevable, tant le prince que ses peuples, d'une extrême misère, laquelle cessera aussitôt que la cause (qui ne pend qu'à un filet du côté de la nature) sera ôtée.

Mais il s'en faut beaucoup que ce soit la même chose du côté de la volonté, ou plutôt du cœur, qu'un mort ressuscité, au témoignage de l'Écriture sainte, ne changerait pas lorsqu'il est une fois prévenu.

Voilà le principe pitoyable de l'allégation que l'on ne peut sans risquer un bouleversement d'État cesser de ruiner meubles et immeubles depuis le matin jusqu'au soir, pour ne reconnaître d'autre Dieu ni d'autre bien que l'argent, qui n'en doit pas faire la millième partie dans un royaume rempli de denrées propres à tous les besoins de la vie, et qui n'est principe de richesses qu'au Pérou, parce qu'il y est uniquement le fruit du pays, qui, bien loin par là d'être digne d'envie, ne nourrit ses habitants que très-misérablement au milieu des piles de ce métal, pendant que des contrées qui le connaissent à peine ne manquent d'aucuns de leurs besoins ; pourvu, s'entend, que la liberté ou plutôt la nature fasse la dispensation de ses présents, puisque la production a été son ouvrage.

Car enfin, pour faire un précis salutaire de ces Mémoires dont l'objet a été de combattre les précis criminels, on peut dire avec certitude que l'opulence générale, tant à l'égard du prince que de ses peuples dans un pays abondant, est un composé général et perpétuel où chaque particulier doit travailler à tout moment, par un apport et un remport à la masse toujours pareil le péril étant égal de quelque côté qu'arrive la diminution ; ce qui étant observé exactement il en résulte une composition parfaite où l'on trouve tout, parce qu'on y apporte tout. Mais, du moment que quelqu'un veut déroger à cette règle de la justice, pour prendre plus ou apporter moins que sa part, la défiance alors arrivant, ainsi que le déconcertement de proportion des prix, la masse se corrompt, et les particuliers qui n'y trouvent plus leur subsistance, sont obligés d'y pourvoir par des mesures singulières, qui sont très-désolantes et presque toujours criminelles, ou plutôt l'un et l'autre à la fois.

Chacun périt, ainsi qu'on a marqué, par l'excès d'une denrée et la disette d'une autre, ce qui jette tous les sujets réciproquement dan la misère, pendant que la compensation mutuelle de ces extrémités les avait rendus très-heureux.