Page:Daire - Physiocrates.djvu/146

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chacun, qui doit être à l’avantage de tous les individus de la famille, et qui doit être réglé par le chef, selon l’ordre même de la justice distributive, conformément aux devoirs prescrits par la nature, et à la coopération où chacun contribue selon sa capacité aux avantages de la société. Les uns et les autres y contribuent diversement, mais l’emploi des uns est à la décharge de l’emploi des autres ; par cette distribution d’emploi, chacun peut remplir le sien plus complètement ; et par ce supplément réciproque, chacun contribue à peu près également à l’avantage de la société ; donc chacun doit y jouir de toute l’étendue de son droit naturel, conformément au bénéfice qui résulte du concours des travaux de la société ; et ceux qui ne sont pas en état d’y contribuer, doivent y participer à raison de l’aisance que cette société particulière peut se procurer. Ces règles qui se manifestent d’elles-mêmes, dirigent la conduite du chef de famille pour réunir dans la société l’ordre naturel et l’ordre de la justice. Il y est encore excité par des sentiments de satisfaction, de tendresse, de pitié, etc., qui sont autant d’indices des intentions de l’Auteur de la nature, sur l’observation des règles qu’Il prescrit aux hommes pour les obliger par devoir à s’entre-secourir mutuellement.

Si on considère les hommes dans l’état de multitude, où la communication entre eux est inévitable, et où cependant il n’y aurait pas encore de lois positives qui les réunissent en société sous l’autorité d’une puissance souveraine, et qui les assujettissent à une forme de gouvernement, il faut les envisager comme des peuplades de sauvages dans des déserts, qui y vivraient des productions naturelles du territoire, ou qui s’exposeraient par nécessité aux dangers du brigandage, s’ils pouvaient faire des excursions chez des nations où il y aurait des richesses à piller ; car dans cet état ils ne pourraient se procurer des richesses par l’agriculture, ni par les pâturages des troupeaux, parce qu’il n’y aurait pas de puissance tutélaire pour leur en assurer la propriété. Mais il faudrait au moins qu’il y eût entre eux des conventions tacites ou explicites pour leur sûreté personnelle ; car les hommes ont, dans cet état d’indépendance, une crainte le uns des autres, qui les inquiète réciproquement, et sur laquelle ils peuvent facilement se rassurer de part et d’autre, parce que rien ne les intéresse plus que de se délivrer réciproquement de cette crainte. Ceux de chaque canton se voient plus fréquemment ; ils s’accoutument à se voir ; la confiance s’établit entre eux, ils s’entr’aident, ils s’allient par des mariages, et forment en quelque sorte des nations particulières, où tous sont ligués pour leur défense commune, et où d’ailleurs chacun reste dans l’état de pleine liberté et d’indépendance les uns envers les autres, avec la condition de leur sûreté personnelle entre eux, et de la propriété de l’habitation et du peu d’effets ou ustensiles