Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 1.djvu/134

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connaître à fond le caractère, les penchants et les caprices de son protecteur, et de gagner ses bonnes grâces à force d’esprit, de souplesse et de protestations de dévouement. Il étudie avec soin les goûts dominants du cercle qu’il fréquente, et faisant bonne contenance contre mauvaise fortune, il s’y plie avec une adresse incomparable. Il est tour à tour causeur, lorsqu’il aurait plus d’envie de se taire, content et radieux lorsque le mauvais état de sa famille et de ses finances l’accable de tristesse, emporté et furieux, triste et en pleurs lorsque son cœur est dominé par les sentiments du bonheur et de la joie. Sa femme et ses enfants succomberaient-ils aux tourments de la faim, lui-même passerait-il de longues journées à jeun, il faut néanmoins qu’arrivé dans les salons, il rie avec ceux qui rient, joue avec ceux qui jouent ; il faut qu’il compose et chante des vers sur le vin, les festins et les plaisirs. C’est pour lui un devoir de n’avoir ni manières, ni couleurs, ni tempérament à lui propres. L’air joyeux ou affligé, passionné ou calme, vivant ou abattu, qui se voit sur les traits de son maître, doit être réfléchi sur les siens comme dans un miroir. Il ne doit être qu’une copie, et plus la copie est fidèle, plus ses chances augmentent.

« À une complaisance sans bornes, le moun-kaik doit joindre un assortiment complet de tout ce que l’on nomme talents de société. C’est toujours lui qui se met en avant pour ranimer la gaieté de la compagnie, soutenir et intéresser la conversation. Répertoire vivant de toutes les histoires et de toutes les fables, il s’ingénie à raconter souvent et avec intérêt ; il connaît le premier toutes les nouvelles de la province et de la capitale, toutes les anecdotes de la cour, tous les scandales, tous les accidents. Il est, auprès des dignitaires, la renommée aux cent bouches, un véritable journal ambulant. Il pénètre tous les desseins, les plans secrets, les intrigues des différents partis ; il compte sur ses doigts le nombre, le nom, la position et les chances de tous les mandarins qui montent et descendent dans l’échelle des faveurs du gouvernement ; il récite avec aisance le catalogue universel et l’état financier de tous les nobles du royaume.

« Nouveau Janus au double visage, sans conscience, et vrai caméléon de la politique, le moun-kaik a soin d’exposer sa belle face au soleil levant de la faveur. Toutes ses gentillesses sont exclusivement pour le côté d’où peuvent venir les dignités ; mais à tout ce qui lui est inutile, ou hostile, ou inférieur, il laisse voir une âme basse et cupide, uniquement gouvernée par les instincts du plus froid égoïsme. Il tourne avec la fortune, flattant