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supplice ; ensuite il lui fit avaler une drogue, que le patient rejeta par la bouche avec des flots de sang. Ce tourment lui causa une défaillance, mais il reprit aussitôt ses sens et recouvra ses forces. Dès ce moment, il ne sentit plus d’autre douleur qu’un léger engourdissement aux pieds et aux mains. On continua les tortures plusieurs jours de suite, sans pouvoir jamais lasser sa constance. Enfin on le renvoya en prison, dans une masure ouverte à tous les vents ; il y passa vingt-quatre jours, exposé aux injures de l’air et privé de toute nourriture. Il respirait encore lorsque l’empereur donna ordre de le transporter à Nangasaki, pour y être brûlé vif comme chrétien, avec les illustres compagnons de sa prison et de ses souffrances. Avant de mourir, il demanda au Père Pacheco, provincial des Jésuites, de l’admettre dans la société ; ce Père lui accorda cette grâce, et reçut ses vœux sur le lieu même où ils allaient tous les deux consommer leur sacrifice.

Vers le même temps, une jeune Coréenne, nommée Julie Ota, donna une preuve de courage à peu près semblable. Issue d’un sang illustre, elle était élevée à la cour de Cubo-Sama, et fort chérie de ce prince, qui voulait la marier à un des plus grands seigneurs de l’empire. Il s’agissait d’abord de changer de religion ; Julie refusa, et fit, sur-le-champ, vœu de virginité. Puis, non contente de paraître en public avec toutes les marques extérieures de sa foi, elle se mit à fréquenter les maisons où les chrétiens tenaient leurs assemblées, chose extraordinaire au Japon, où les femmes de qualité ne sortent jamais qu’accompagnées du plus grand cortège, et encore très-rarement. Elle voulait par là, à quelque prix que ce fût, forcer Cubo-Sama à lui accorder la palme du martyre ; or, il ne s’agissait de rien moins que d’être condamnée au feu, ou à d’autres supplices bien plus cruels encore. Cubo-Sama, essaya par toutes sortes de moyens d’ébranler sa constance, et à la fin, voyant que les caresses et les menaces étaient également inutiles, il la déporta dans une île lointaine où vivaient quelques pauvres pêcheurs, qui n’avaient d’autres habitations que de misérables cabanes. Son exil et ses souffrances durèrent quatre ans, c’est-à-dire autant que sa vie ; mais si les consolations humaines lui manquèrent, elle en fut pleinement dédommagée par l’abondance des faveurs du ciel. Son seul chagrin était de n’avoir point versé son sang pour Jésus-Christ. Elle trouva l’occasion d’écrire à un missionnaire jésuite à ce sujet ; le missionnaire lui répondit que l’Église regarde aussi comme martyrs ceux qui ont été exilés pour la foi. Cette réponse la combla de joie, et dissipa toutes ses craintes.