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de perdre notre âme, avec tout ce qu’elle a pu acquérir de mérites. Ma maison est si pauvre qu’il ne m’est pas difficile de rester dans cette prison, où je suis en paix. Tout ce que les miens font pour moi me fait peine. » — Puis il dit à sa femme : « Tous ceux qui prient pour moi, s’ils le font pour me faire jouir encore des choses de ce monde, doivent cesser leurs prières : mais s’ils prient pour mon âme, pour mon éternité, pour que je n’oublie pas les souffrances de Jésus-Christ et ses mérites, recommande-moi à eux, afin qu’ils prient sans cesse. J’espère que c’est de la sorte que ma famille prie pour moi. Quant à ma nourriture, apporte-moi, selon tes moyens, une écuelle de riz par jour ou tous les deux jours, et quand tu ne le pourras pas, ne t’en inquiète nullement. Si je ne puis sortir d’ici, mon cadavre en sortira bien. Dorénavant, quand on te chargera de me dire quelque chose, même de la part des chrétiens, si cela tend à m’ébranler, ne me le rapporte pas : mon cœur pourrait être faible. »

À partir de ce jour, quand sa femme venait lui apporter quelque chose, il refusait de la voir, et se contentait de lui adresser de loin quelques mots. Quelques jours après, le mandarin lui dit : « Tu as été trompé : en Chine, Ni-Matou[1] a séduit le peuple par sa science ; comment ne vois-tu pas que ce sont des fourberies ? — Ni-Matou, reprit Paul, est un homme comme les autres ; mais la doctrine qu’il a répandue en Chine et ailleurs, n’est pas la sienne ; c’est celle du grand Roi du ciel et de la terre. Si l’on doit publier et écouter avec une attention scrupuleuse les ordres des rois de la terre, à plus forte raison les ordres de Dieu qui sont plus terribles, plus redoutables et plus aimables en même temps que ceux des rois de ce monde. Il est le Tout-Puissant, le Très-Haut ; il est dix mille fois plus admirable que tous les princes. Quand il ordonne, comment pourrait-on prêcher négligemment la religion, la recevoir froidement, l’apprendre avec indifférence ? Voilà pourquoi, soutenu par la grâce, je dois supporter et je supporterai patiemment tous les tourments, mais jamais je ne consentirai à l’apostasie. » — Le mandarin le fit battre plus qu’à l’ordinaire, et le renvoya en prison.

Deux jours après, c’est-à-dire le troisième jour de la sixième lune, sa femme vint à la prison s’informer de son état, et des cho-

  1. C’est la manière dont les Coréens prononcent le mot chinois Ly Mateo, nom du père Matthieu Ricci, le grand apôtre de la Chine au xvie siècle.