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Deux jours après, son père étant mort, il donna des marques non équivoques de sa désolation, se revêtit des habits de deuil, mais ne fit aucun des sacrifices accoutumés. Tous ses parents et alliés, toutes ses connaissances le regardaient avec surprise, et ne dissimulaient ni leur mécontentement ni leurs murmures. Au printemps de l’année kieng-sin (1800) arriva le premier anniversaire, et alors encore il ne fit aucun sacrifice. Bientôt après, le mandarin de Nie-tsiou, qui le surveillait, envoya des satellites et le fit comparaître à son tribunal. « Je sais clairement, lui dit-il, que tu ne suis pas la religion du Maître du ciel, mais on t’accuse de ne pas faire les sacrifices aux parents défunts. Si cela est vrai, je serai forcé de te faire mourir. » Hei-ieng-i resta muet comme devant son père, et fut conduit dans la prison où se trouvaient déjà Martin Ni, Jean Ouen et leurs compagnons, pour être jugé et condamné avec eux.

Deux chrétiens avaient été pris dans la maison de Hei-ieng-i, en même temps que lui. C’étaient Tsio Tsiei-tong-i, et son fils Pierre Tsio Iong-sam-i. Ce Tsio Tsiei-tong-i était un noble du district de Iang-keun, de la branche des Tsio de An-hiang. Devenu veuf et tombé dans la misère, il avait quitté son pays natal où il ne pouvait plus subsister, et s’était réfugié avec ses deux fils chez Hei-ieng-i, qui, depuis quelque temps, leur accordait une généreuse hospitalité. Pierre Iong-sam-i, l’aîné des fils de Tsio, était d’un tempérament faible et maladif, d’un extérieur fort peu avantageux, et d’une ignorance absolue de toutes les choses de ce monde, ce qui, joint à la pauvreté de sa famille, l’avait empêché de trouver un parti. Bien qu’âgé de trente ans, il n’avait pu encore prendre le chapeau et se marier[1]. Tous se riaient de lui, le seul Augustin Tieng avait su reconnaître une grande âme dans ce corps chétif. Il le traitait avec beaucoup d’égards, et ne cessait de louer sa foi et sa vertu. Quand les satellites vinrent arrêter Hei-ieng-i, Pierre et son père furent saisis avec leur hôte, mais Ho-sam-i, le frère de Pierre, parvint à s’évader.

Pendant la route, Tsio dit à son fils : « Cette fois, je suis décidé à donner ma vie pour Dieu, et je serai certainement martyr. Pour toi que feras-tu ? » Pierre répondit : « Nul ne peut se fier à ses résolutions ni à ses forces ; comment oserais-je, faible

  1. En Corée, les jeunes gens n’ont pas le droit de porter chapeau avant leur mariage. Ils vont tête nue, les cheveux pendants, et liés en une seule tresse. À l’époque du mariage seulement, ils les relèvent et les nouent au sommet de leur tête.