Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/115

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amour désordonné de ses parents demeurer auprès d’eux, leur faire de fréquentes visites et en recevoir, leur distribuer ses petits revenus au détriment des pauvres dont il eût dû être le père, certainement malheur à lui ; malheur aussi à ses parents, car les biens que les prêtres amassent et laissent en mourant deviennent souvent des sources de discorde dans leurs familles, et ne prospèrent jamais, parce que Dieu les condamne. Mon cher Louis, si vous continuez vos études, gravez bien ceci dans votre mémoire, et vous y trouverez une source intarissable de consolations et de bonheur.

« Dieu, mes bien chers parents, est infiniment généreux ; il promet de récompenser au centuple le peu qu’on fait pour lui. J’avais souvent réfléchi sur cette divine promesse avant de me déterminer à me séparer de vous ; et depuis le jour où je fis ce sacrifice de ce que j’ai de plus cher au monde, j’ai éprouvé dans toutes les rencontres que ce n’est point en vain qu’on se confie au Seigneur : j’ai reçu bien des fois le centuple de ce que j’avais laissé. Pour ce qui regarde les biens du corps, je n’ai jamais manqué de rien. J’ai toujours eu une bonne santé, la nourriture et les vêtements autant qu’il a été nécessaire, et souvent même un peu de superflu pour pouvoir subvenir aux besoins des pauvres mes bons amis, et de l’église dont mes supérieurs m’avaient chargé. De même que la naissance d’un fils est un sujet de joie pour toute une famille, ainsi autant de païens convertis, autant de sujets de joie pour un missionnaire. Ô mon Dieu ! n’eussé-je affranchi de la tyrannie du démon qu’une seule âme docile à votre grâce, je me croirais infiniment récompensé de mes peines et infiniment plus heureux que ces riches négociants qui viennent dans l’Inde pour agrandir leur fortune, et s’en retournent avec des vaisseaux chargés d’or et de pierres précieuses !

« En me séparant de mes chers enfants spirituels, j’ai senti se renouveler dans mon cœur la douleur que j’éprouvais lorsque je m’éloignais de vous. Il me semblait avoir autant de pères, de mères, de frères, de sœurs que je voyais de bons chrétiens s’affliger de mon départ. Plusieurs en me baisant la main, selon la coutume du pays, y déposaient de l’argent pour les besoins du voyage ; d’autres apportaient du pain, de la viande, des fruits, des confitures et autres choses dont les bonnes mères ont soin de pourvoir leurs enfants qu’elles aiment quelquefois un peu trop. J’avais résolu de m’échapper secrètement, mais la chose n’a pas été possible. Je fus accompagné jusqu’au rivage, où nous réitérâmes les adieux. Tant que je vivrai, je n’oublierai jamais la