Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/276

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« Une difficulté nous arrêtait : nous ne connaissions pas le chemin qui conduit à cette ville. La Providence vint à notre secours, et nous envoya pour guides deux marchands du pays, qui retournaient dans leur patrie. En leur compagnie, nous voyageâmes quelque temps encore sur la glace de la rivière, en la remontant vers sa source. L’inégalité du terrain, les montagnes dont il est entrecoupé, les bois qui le couvrent, le défaut de route tracée, forcent les voyageurs à prendre la voie des fleuves. Aussi, en quittant le Soungari, nous allâmes nous jeter sur un de ses affluents, qui va, plus loin au nord, grossir de ses eaux le courant principal. Les Chinois nomment cette rivière Mou-touan ; sur la carte européenne elle est marquée Hur-dia ; serait-ce son nom tartare ? je l’ignore. Des auberges sont échelonnées sur ses rives. Nous fûmes, un jour, agréablement surpris d’en rencontrer une chrétienne : on nous y reçut en frères ; non-seulement on n’exigea rien pour notre logement, mais on nous contraignit même d’accepter des provisions de bouche. C’est une justice à rendre aux néophytes chinois : ils pratiquent envers leurs frères étrangers l’hospitalité la plus généreuse.

« Nous nous avancions, tantôt sur la glace du fleuve, tantôt sur l’un ou sur l’autre de ses bords, suivant que la route nous offrait moins d’aspérité. À droite et à gauche s’élevaient de hautes montagnes couronnées d’arbres gigantesques, et habitées par les tigres, les panthères, les ours, les loups, et autres bêtes féroces, qui se réunissent pour faire la guerre aux passants. Malheur à l’imprudent qui oserait s’engager seul au milieu de cette affreuse solitude ; il n’irait pas loin sans être dévoré. On nous dit que dans le courant de l’hiver, plus de quatre-vingts hommes, et plus de cent bœufs ou chevaux étaient devenus la proie de ces animaux carnassiers. Aussi les voyageurs ne marchent-ils que bien armés et en forte caravane. Pour nous, nous formions un bataillon redoutable à nos ennemis. De temps en temps, nous en voyions sortir quelques-uns de leur repaire ; mais notre bonne contenance leur imposait, ils n’avaient garde de nous attaquer.

« Si ces animaux luttent contre les hommes, ceux-ci en revanche leur font une guerre d’extermination. Chaque année, vers l’automne, l’empereur envoie dans ces forêts une armée de chasseurs ; cette dernière année, ils étaient cinq mille. Il y a toujours plusieurs de ces preux qui payent leur bravoure de leur vie. J’en rencontrai un que ses compagnons ramenaient au tombeau de ses pères, à plus de cent lieues de là : il avait succombé au champ d’honneur ; sur sa bière étaient étalés avec orgueil les trophées