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à bord son évêque et le missionnaire qui l’accompagnait, et, rempli d’un nouveau courage, fit voile vers la Corée. Nous allons laisser Mgr Ferréol nous raconter lui-même les épisodes de ce périlleux voyage, dans une lettre adressée à M. Barran, directeur du séminaire des Missions-Étrangères.


« Kang-kien-in, dans la province méridionale de la Corée, 29 octobre 1845.

« Monsieur et cher confrère,

« Après six ans de tentatives, je suis enfin arrivé dans ma mission. Le Seigneur en soit mille fois béni ! Vous me demandez quelques détails sur mon entrée dans ce royaume ; je m’empresse de satisfaire à vos désirs…

« D’abord, vous serez peut-être bien aise de connaître la barque qui nous a portés en Corée à travers la mer Jaune. Elle a vingt-cinq pieds de long, sur neuf de large, et sept de profondeur. Pas un clou n’est entré dans sa construction, des chevilles en retiennent les ais unis entre eux ; point de goudron, point de calfatage ; les Coréens ne connaissent pas ce perfectionnement. À deux mâts d’une hauteur démesurée, sont attachées deux voiles en nattes de paille, mal cousues les unes aux autres. L’avant est ouvert jusqu’à la cale ; il occupe le tiers de la barque. C’est là que se trouve placé le cabestan, entouré d’une grosse corde tressée d’herbes à demi pourries, et qui se couvrent de champignons dans les temps humides. À l’extrémité de cette corde est liée une ancre de bois, notre espoir de salut. Le pont est formé partie de nattes, partie de planches mises à côté l’une de l’autre, sans être fixées par aucune attache. Ajoutez à cela trois ouvertures pour entrer dans l’intérieur. Aussi, lorsqu’il pleut ou que les vagues déferlent par-dessus le bastingage, on ne perd pas une goutte d’eau. Il faut la recevoir sur le dos, et puis à force de bras la rejeter dehors.

« Les Coréens, quand ils naviguent, ne quittent jamais la côte. Dès que le ciel se charge, ils jettent l’ancre, étendent sur leurs barques une couverture de chaume, et attendent patiemment que le beau temps revienne. Il n’est pas nécessaire de vous dire, monsieur et cher confrère, que nous n’étions pas fort à l’aise dans la nôtre. Souvent inondés par la vague, nous vivions habituellement en compagnie des rats, des cancres, et, ce qui était plus ennuyeux, de la vermine. Sur la fin de notre navigation, il s’exhalait une odeur fétide de la cale, dont nous n’étions séparés que par un faible plancher.