Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/354

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tion de la bienheureuse Vierge Marie, et nous abandonnant tout entiers à la volonté de Dieu, nous demeurâmes dans cet endroit sans paraître prêter la moindre attention aux cris des païens. La nuit se passa à les attendre. Mais il y eut scission dans leur conseil, et le matin on nous laissa sortir librement. Toutefois je n’avais pas pu visiter les trois chrétiennes, et je les laissai toutes consternées de cet accident.

« Dans un autre lieu où se trouvent environ deux cents chrétiens, je fus également dénoncé au chef du village le troisième jour de la mission. Aussitôt il fit savoir à tous les païens qu’un Européen se trouvait dans l’endroit, et il accourut à la maison où, dans ce moment même, j’entendais les confessions. Pendant le reste de la journée et une grande partie de la nuit, il m’accabla d’injures, de malédictions et de menaces. Il criait que j’étais un Européen, un Français. « Tu es, » me disait-il, « un grand scélérat ; tu es venu de la France pour nous voler. Les Européens ne sont que des imposteurs, et les Français des perturbateurs du repos public. Quel avantage trouvez-vous donc à venir ainsi semer la discorde chez nous, et à nous tromper ? Tu verras si tu peux persister dans cette mauvaise voie ; demain tu seras lié avec la corde rouge et conduit dans la prison des voleurs, etc. » Il ne cessa de crier de cette façon pendant plusieurs heures, et à la fin, épuisé de fatigue, il se décida à aller se coucher. Alors d’après le conseil de mes catéchistes, je partis pendant la nuit, sans avoir dit la messe, quoique tous les chrétiens, qui s’étaient confessés et préparés la veille, eussent le plus vif désir de recevoir la sainte communion. Un grand nombre de ceux qui n’avaient pas encore participé aux sacrements, me suivirent le lendemain, par des chemins affreux, jusque dans une autre chrétienté située à cent lys de chez eux ; ceux qui ne purent sortir du village en éprouvèrent le plus grand chagrin.

« Dans mes courses je vois de près les misères et l’indigence de ces pauvres gens ; l’impuissance où je me trouve de les soulager, m’afflige plus que je ne puis l’exprimer. Ils sont en proie à toutes les calamités. Écrasés sous un gouvernement tyrannique, plongés dans des difficultés inextricables, à peine ont-ils la liberté de faire le moindre mouvement ; persécutions de la part de leurs concitoyens, persécutions de la part de leurs parents, de leurs alliés, de leurs voisins. Ils s’estiment heureux lorsqu’ils peuvent vivre tranquillement pendant deux ou trois ans, dans des montagnes sauvages, dans des cavernes, sous les plus misérables abris. Pour beaucoup d’entre eux, la pratique