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enlever leurs habits, et les laissèrent dans un état de nudité complète, mais sans leur faire aucun mal. Ces pauvres malheureux, transis de froid, vinrent le lendemain implorer la charité de notre équipage ; pour nous, il nous fut défendu de contribuer à la bonne œuvre, de crainte de trouver des ingrats qui nous auraient vendus au mandarin pour prix de notre assistance. Après ce coup de main, les pirates s’adressèrent à nous. Notre capitaine donna le signal de détresse, il héla toutes les barques voisines ; elles se réunirent au nombre de six, et marchèrent de front. Le capitaine et le subrécargue vouèrent plusieurs messes : nos gens, quoique transis de peur, faisaient bonne contenance. Toutes nos barques réunies donnaient à peine un contingent de cent quarante hommes sans armes : je ne sais si ce nombre est exact ; c’est le rapport du subrécargue. Les pirates étaient au nombre de plus de trois cents, bien armés : car en Chine il est défendu d’avoir des armes à bord des navires, sous peine d’être déclaré voleur et puni comme tel ; les pirates seuls se dispensent de cette loi.

« Le bon Dieu eut pitié de nous ; ces forbans se retirèrent sans avoir jamais osé en venir à l’abordage. Nous récitâmes le Te Deum, mais à voix basse, par crainte d’être entendus des matelots des barques voisines. À la nuit tombante, nous entrâmes dans une rade où se trouvaient réunies plusieurs centaines de barques. Les soldats vinrent, selon l’usage, visiter et faire payer l’ancrage ; on s’empressa de leur donner ce qui était dû et de leur raconter, fort au long, notre aventure. Ils parurent sensibles au rapport des dangers que nous avions courus. Cependant la nuit survint, ils se retirèrent sans avoir fait la visite : c’était précisément ce que nous voulions. Peu de temps après, les pirates reparurent à l’entrée de la rade ; mais ils n’osèrent rien entreprendre. Nous les revîmes encore pour la troisième fois, lorsque nous étions en route ; mais nous étions accompagnés alors d’environ cinquante barques qui marchaient de conserve : ils n’étaient pas les plus forts, ils prirent sagement le parti de se retirer. Depuis ce temps-là ils ne nous molestèrent plus. Nous étions dans la 12e lune chinoise : à cette époque, les vols sont fréquents et la justice peu sévère ; les mandarins, par crainte, par faiblesse et peut-être par une espèce de superstition, ferment les yeux sur ces excès.

« Cependant le mauvais temps continuait ; nous faisions des vœux pourvoir enfin le terme d’un si ennuyeux voyage, pendant que Mgr du Fokien priait de son côté pour que nous n’arrivas-