Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/416

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lampe chinoise, qui si elle éclaire peu, projette en revanche autour d’elle une abondante et désagréable fumée. Au reste, le tout serait encore sans inconvénient grave, s’il nous était donné de pouvoir respirer librement l’air bienfaisant et pur de la mer ; mais une infinité d’embarcations circulent autour de nous, près de trois cents jonques stationnent à nos côtés, et il est plus que probable que plusieurs d’entre elles, corsaires masqués, cherchent parmi leurs voisines une proie à leur rapacité. La tragique fin d’un de nos confrères, jeté à la mer par des pirates l’année précédente et dans les mêmes lieux, sonne trop haut pour que la prudence nous permette de laisser ébruiter notre présence. Nous nous condamnons donc à la réclusion dans notre sépulcre : et c’est là le côté le plus douloureux de notre position ; car l’air n’arrivant que fort médiocrement au fond de notre cale, et après s’être chargé des vapeurs de la cuisine, ne peut être que lourd et morbide. Si vous ajoutez à cela que le mauvais temps arrivant, ou même souvent avec la simple marée, les barques roulent la plupart du temps de manière à imiter une danse de Saint-Guy, vous aurez une idée de notre félicité à bord.

« Néanmoins, dans le principe, les chrétiens des barques voisines viennent faire une agréable diversion à notre solitude ; Monseigneur a la consolation de pouvoir entendre leurs confessions, et la cérémonie du mercredi des Cendres réunit autour de nous plus de cent matelots, appartenant à sept jonques différentes.

« Cependant, comme le vent du nord souffle avec violence, il ne faut pas songer à partir : il est trop dangereux de s’engager en pleine mer sous de pareils auspices. Enfin, après de longs jours d’attente, la mousson favorable se fait sentir. Vous penserez avec moi qu’on va s’empresser d’en profiter ; mais comme tous ces pauvres marins se défient, et peut-être avec raison, de leur science personnelle, aucun d’eux n’ose trancher la question de l’arrivée du beau temps, et prendre l’initiative du départ. On attend donc jusqu’à ce qu’enfin quelqu’un ait la hardiesse de hisser une voile ; aussitôt tout le monde se met à l’œuvre avec une activité incroyable, il s’élève de tous côtés un tohu-bohu propre à terrifier quiconque n’est pas familiarisé avec les manœuvres des Chinois. On s’éloigne au plus vite du mouillage, on tend toutes les voiles, c’est à qui devancera ses voisins. Nous courons ainsi, et assez vite, pendant douze ou quinze heures ; les barques, dispersées au loin sur la mer, font les préparatifs d’un long voyage, quand soudain, l’une d’entre elles, croyant entrevoir