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DE LA SOCIÉTÉ
ET
DE L’ARCHITECTURE
À PROPOS
DE NOTRE ARCHITECTURE FUNÉRAIRE

I.

La joie et la douleur, à des degrés divers, se partagent notre existence ; tantôt l’homme rit et tantôt il pleure, manifestant ainsi physiquement, par une loi de sa nature, les sentiments de gaieté ou de chagrin qui le dominent ; et l’art, ce miroir magique où l’âme humaine rendue visible se révèle successivement dans ses états divers d’émotion et de passion, l’art aussi s’offre à nous, alternativement, comme l’expression du bonheur ou de la tristesse.

En littérature, la comédie rit, la tragédie pleure ; et si l’architecture a ses opéras, ses cirques et ses colonnes, édifices de fête et de triomphe, elle a aussi ses sanglots, ses monuments de douleur ou de deuil : ses tombeaux. De là une nécessité pour l’architecte d’apprendre à exprimer par des combinaisons de lignes et de couleurs — de lignes surtout — les deux grands caractères essentiels de la sensibilité humaine.

De tous les monuments le tombeau est le plus propre à mettre aisément en lumière le talent plastique et le sentiment poétique de l’architecte ; car il n’y en a pas où l’imagination puisse prendre un essor plus noble et plus élevé, où la nécessité de l’expression soit plus impérieuse, et qui échappe davantage à la tyrannie physique de la matière. Entre les mains d’un architecte maître des ressources esthétiques de la forme et sensible à la poésie de son art, une stèle, une simple dalle de pierre peut devenir un chef-d’œuvre d’expression funéraire ; et il est bon de faire remarquer ici, en présence des préoccupations utiles mais trop exclusives du rationalisme moderne, que la science du constructeur n’a à jouer qu’un rôle de bien peu d’importance dans l’exécution d’un monument sortant tout entier d’un seul bloc de matière. L’ingénieur, constructeur et savant, fera concurrence à l’architecte, constructeur et poëte, à propos d’une usine ou de tout autre édifice de pure utilité, jamais pour un tombeau.

II.

Trouver l’expression, marquer le caractère, parler avec la pierre et le métal un langage intelligible et tout animé du frémissement de l’émotion humaine, c’est là, paraît-il, une suprême difficulté pour nos contemporains, à en juger par le petit nombre de nos récents monuments funéraires vraiment dignes d’éloge. À la plupart il manque la clarté d’une pensée nette ; parfois on y cherche en vain même l’émotion d’un cœur aimant ou le sentiment d’une foi sincère. C’est que l’habitude d’imiter sans comprendre et de suivre les ornières d’une routine vulgaire a trop souvent engourdi l’imagination et la sensibilité, c’est-à-dire les deux grandes facultés, active et passive, de l’artiste. Et le public, loin de se choquer de cette servilité envers le passé, l’acclame au contraire, l’exige même : vivant, on veut habiter une maison gothique ou une villa Louis XIII, avec salon Louis XIV et boudoir Pompadour ; mort, on repose à l’om-