Page:Dancourt - À Mr. J. J. Rousseau, 1759.djvu/114

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bord ſon titre outré, car un Miſantrope ſelon vous doit être un monſtre, un enragé, un Démon tel que le Héros de la vie eſt un ſonge. Un Philoſophe moderne tout oppoſé à vôtre avis a blâmé Moliére d’avoir fait du Miſantrope un homme de mauvaiſe humeur non ſeulement contre les hommes en général, mais encore contre chacun d’eux en particulier. Il a intitulé ſon ouvrage le Miſantrope & ſon perſonnage eſt un homme ſociable pour chacun en particulier, mais l’ennemi & le critique des vices en général.

Voilà Moliére entre vous deux & vous ſçavez que le milieu de toutes choſes eſt le point de préférence pour les Sages. Alceſte n’eſt ni enragé ni aſſés discret, il hait cordialement le genre humain, mais ſans s’armer d’un poignard contre le premier venu ou lui marquer comme Thimon un figuier pour ſe pendre : trop de complaiſance dans le Philoſophe Hollandois ne laiſſe plus voir dans ſon Miſantrope qu’un Spéculateur qui n’enviſage rien qu’en général & que rien ne bleſſe aſſés dans chaque particulier, pour l’engager à lui donner perſonnellement de bons conſeils. C’eſt presque un Démocrite que ce Miſantrope là. Celui de Molière eſt donc bien comme il eſt, c’eſt mon avis & celui, j’en ſuis ſûr, de la plus grande partie du Public, en tout cas ce n’eſt là qu’une dispute de mot, qui ne fait rien au fond de la queſtion.

Il s’agit d’examiner ſi Alceſte en un galant homme tourné mal à propos en ridicule, ſi