Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/345

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joie, apprends-moi la cause qui te fait t’approcher si près de moi ; et dis pourquoi se tait dans cette roue [1] la douce symphonie du Paradis, qui plus bas dans les autres si dévotement résonne.

« Tu as l’ouïe mortelle comme la vue, » me répondit-elle [2] ; « ici point l’on ne chante, par la même raison que Béatrice ne rayonne point. Par les degrés de l’échelle sainte tant j’ai descendu, seulement pour te fêter de mon dire et de la lumière qui me revêt. Plus d’amour point ne m’a fait plus prompte ; autant et plus d’amour au-dessus d’ici bouillonne, comme te le montre le flamboyer. Mais la haute charité qui fait de nous de promptes servantes du conseil [3] qui gouverne le monde, assigne ici, ainsi que tu peux l’observer, les fonctions. » — Je vois bien, dis-je, ô sacrée lampe, comment dans cette cour un libre amour suffit pour marcher dans les voies de la Providence éternelle ; mais ce qui me paraît difficile à comprendre, c’est pourquoi tu as été seule prédestinée à cet office parmi tes compagnes.

Je n’eus pas prononcé la dernière parole, que de son milieu la splendeur se faisant un centre, tourna comme une meule rapide ; puis l’amour [4] qui était dedans répondit : « En moi pénètre la lumière divine, à travers celle dont je m’enveloppe ; et, jointe à ma vision, au-dessus de moi tant m’élève sa vertu, que je découvre la suprême Essence de laquelle elle découle. De là l’allégresse dont je rayonne, parce qu’à la clarté de ma vue j’égale l’éclat de ma flamme. Mais l’âme qui le plus resplendit dans le ciel, le séraphin dont l’œil est le plus fixé sur Dieu, à ta demande ne satisferait pas ; parce que dans l’abîme de l’éternel décret tant s’enfonce ce que tu demandes, qu’à toute vue créée il est inaccessible. Et au monde mortel, lorsque tu retourneras, rapporte ceci, afin qu’il n’ait plus la présomption de tendre

  1. Cette sphère, cette planète.
  2. Il y a ici une ellipse de pensée qu’indique vaguement le mot pero. L’esprit qui répond à Dante ne dit pas que les chants s’éteignent réellement dans le ciel qu’il habite, mais que les actes de la vie contemplative, tout intérieurs, se dérobent à l’ouïe comme à la vue des mortels.
  3. Les décrets de Dieu.
  4. L’âme enflammée d’amour.