Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/115

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de circuit ait la bolge, et de largeur pas moins de la moitié. Pour eux suis-je dans une telle famille : ils m’induisirent à frapper les florins qui avaient trois carats d’alliage. » Et moi à lui : — Qui sont les deux malheureux qui fument, comme en hiver une main mouillée, et gisent serrés l’un contre l’autre, à ta droite ? « Ici les trouvai-je, répondit-il, quand je tombai dans cette sentine, et depuis ils n’ont bougé, ni, je crois, ne bougeront éternellement. L’une est celle qui accusa faussement Joseph [1] ; l’autre est Sinon [2], le Grec fourbe de Troie : une fièvre ardente fait que d’eux sort cette fumée infecte. » Et l’un d’eux, qui peut-être fut chagrin de s’entendre nommer si honteusement, du poing lui frappa la dure panse. Celle-ci sonna comme un tambour ; et, avec la main maître Adam lui frappa le visage, qui ne parut pas moins dur, lui disant : « Quoique je ne puisse remuer mes membres à cause de leur poids, j’ai le bras dispos pour une telle besogne. » A quoi l’autre répondit : « En allant au feu, tu ne l’avais pas si agile ; mais oui bien, et plus, quand tu battais monnaie. » Et l’hydropique : « Tu dis vrai en cela ; mais tu ne fus pas si véridique, lorsqu’à Troie on requit de toi la vérité. » « — Si mon dire fut faux, tu as, toi, falsifié la monnaie, dit Sinon, et je suis ici pour une seule faute, et toi pour plus qu’aucun autre démon. — « Souviens-toi du cheval, parjure répondit celui qui avait le ventre enflé ; et qu’à tourment te soit que tout le monde sache ton crime ! — Et qu’à toi, dit le Grec, à tourment soit la soif dont te crève la langue, et l’eau pourrie qui fait de ton ventre une haie devant tes yeux ! » Alors le monnayeur : « Ta bouche, comme d’ordinaire, se disloque pour mal dire : que si j’ai soif, et que d’eau je sois gonflé, tu as, toi, la fièvre qui te brûle, et le mal de tête ; et pour t’inviter à lécher le miroir de Narcisse [3], point ne faudrait beaucoup de paroles. »

J’étais tout entier appliqué à les écouter, quand mon Maître

  1. La femme de Putiphar.
  2. Celui qui, trompant les Troyens par ses parjures, fut cause de la perte de Troie.
  3. L’eau où Narcisse, voyant son image, devint amoureux de lui-même.