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Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/143

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au bout du pont de Bénévent, sous la garde de la pensante mora [1]. Maintenant les baigne la pluie, et les roule le vent hors du royaume, le long du Verde, où il les transporta à lumière éteinte. Ne se perd tellement par leur malédiction, l’éternel amour qu’il ne puisse revenir, tant qu’un peu verdit l’espérance. Il est vrai que qui meurt rebelle à la sainte Église quoiqu’à la fin il se repente, doit rester dehors sur cette rive, trente fois aussi longtemps qu’il a persisté dans sa présomption, si, par de bonnes prières, cette peine n’est abrégée. Vois à présent si tu veux me rendre joyeux, en révélant à ma bonne Constance comment tu m’as vu, et aussi cet empêchement. Car ici beaucoup peuvent servir ceux de là [2]. »


CHANT QUATRIÈME


Lorsqu’un sentiment de plaisir ou de douleur s’empare d’une de nos puissances, l’âme en celle-là se concentre tellement, que de toute autre elle semble distraite : et ceci est contre l’erreur de ceux qui croient qu’une âme en nous au-dessus d’une autre s’allume [3]. Ainsi, lorsqu’on entend ou qu’on voit une chose qui attire fortement l’âme à soi, le temps passe sans qu’on s’en aperçoive ; parce que autre est

  1. Selon que le raconte Villani, le roi Charles Ier, ne voulant pas que le corps de Manfred, mort excommunié, fût déposé en terre sainte, le fit enterrer au bout du pont de Bénévent, et chaque soldat de l’armée jeta une pierre sur sa fosse. Cette sorte d’amas de pierres s’appelait mora. Villani ajoute, qu’au dire de quelques-uns, l’archevêque de Cosenza, par ordre du Pape, fit enlever de ce lieu, qui était de terre d’Église, et transporter près du fleuve Verde, les os de Manfred.
  2. « Ceux qui sont encore sur la terre. »
  3. Platon, et d’autres après lui, croyaient qu’il y a trois âmes dans l’homme : l’âme végétative, l’âme sensitive et l’âme intellective, qu’il plaçait la première dans le foie, la seconde dans le cœur, la troisième dans le cerveau. Elles survenaient successivement, et dans l’ordre où on vient de les nommer, à mesure que, le corps se développant, se formaient les organes correspondants à leurs fonctions.