Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/184

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de savoir leurs noms, et je les demandai avec prières. Sur quoi, celui qui le premier avait parlé, recommença : « Tu veux que je condescende à faire ce que tu n’as pas voulu faire pour moi. Mais, puisqu’en toi Dieu veut que tant reluise sa grâce, je ne te refuserai pas : sache donc que je suis Guido del Duca. Mon sang fut si enflammé d’envie, que si quelqu’un j’avais vu se réjouir, de jalousie tu m’aurais vu livide. De ce que je semai, une telle paille je moissonne. O humaine espèce, pourquoi mets-tu ton cœur là d’où doit être exclu tout compagnon [1] ? Celui-ci est Rinieri, l’ornement et l’honneur de la maison de Calboli, où nul ne s’est rendu héritier de sa vertu. Et non seulement sa race, entre le Pô et le mont et la mer et le Reno, est devenue pauvre de biens requis pour jouir du vrai et du contentement [2] ; mais au dedans de ces limites [3], tant abondent les plantes vénéneuses, que sans fruit désormais serait une culture tardive [4].

« Où est le bon Liccio [5], et Arrigo Menardi [6], Pierre Traversaro [7], et Guido di Carpigna [8] ! O Romagnols tombés en bâtardise, lorsqu’à Bologne un Fabbro [9] se fait de haute lignée ; lorsqu’à Faënza, un Bernardino [10] di Fosco, d’une herbe rampante [11] devient la noble tige ! Ne t’étonne point, ô Toscan, si je pleure, lorsqu’avec Guido da Prata [12] je me rappelle

  1. « Pourquoi convoites-tu si avidement les biens dont tu ne peux jouir, qu’un autre n’en soit privé ? »
  2. Les qualités intellectuelles et morales, au moyen desquelles on discerne le vrai, et l’on jouit des plaisirs honnêtes.
  3. Dans la Romagne.
  4. « Il est désormais trop tard pour espérer de guérir ce mal invétéré. »
  5. Liccio da Valbona.
  6. Selon les uns, de Florence ; selon les autres, de Bertinoro.
  7. Seigneur de Ravenne.
  8. De Montefeltro.
  9. Dominique Fabri de’ Lambertazzi.
  10. A l’abâtardissement des Romagnols, Dante oppose deux hommes qui, d’une humble origine, se sont élevés à la noblesse par le mérite et la vertu, Domenico Fabbri de’ Lambartazzi, à Bologne, et Bernardino di Fosco, à Faënza.
  11. Le mot italien gramigna signifie proprement chiendent.
  12. Guido, seigneur de Prata ; lieu situé entre Ravenne et Faënza.