Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/201

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bientôt fera pleurer ce monastère, et qui s’attristera d’y avoir eu puissance [1] ; parce que son fils, difforme de tout le corps, et d’âme pire, et qui mal naquit, y tient la place du vrai pasteur. »

Je ne sais s’il en dit plus ou s’il se tut, tant il nous avait devancés ; mais cela j’entendis, et il me plut de le retenir. Et celui qui en tout besoin m’avait secouru, dit : « Tourne-toi par ici, et vois-en deux venir en gourmandant la paresse ». Derrière tous les autres ils disaient : « Moururent ceux pour qui la mer s’ouvrit, avant que le Jourdain vit ses héritiers [2] ; et ceux qui, jusqu’à la fin ne supportèrent pas la fatigue avec le fils d’Anchise, et se plongèrent eux-mêmes dans une vie sans gloire. »

Puis, quand ces ombres furent si loin de nous qu’on ne les pouvait plus voir, en moi entra un nouveau penser duquel divers autres naquirent, et de l’un à l’autre tant j’ondoyai, que dans le vague mes yeux se fermèrent, et la pensée se transforma en songe.


CHANT DIX-NEUVIÈME


Alors que la chaleur du jour, vaincue par la Terre, ou quelquefois par Saturne, ne peut plus attiédir le froid de la Lune [3] ; quand les Géomanciens voient, avant l’aube, leur

  1. Albert della Scala, seigneur de Vérone, investit de force un de ses fils, difforme et vicieux, de l’abbaye de San-Zéno. Il était déjà vieux lorsqu’il commit cet acte de violence impie, « qu’il ne tardera pas, dit le Poète, à pleurer là où chacun acquitte sa dette envers la Justice inflexible. »
  2. Ceux qui passèrent la mer Rouge à pied sec moururent avant d’être entrés dans la Palestine, promise en héritage aux enfants de Jacob. Et d’autres disaient : « Moururent ceux qui, jusqu’à la fin, etc. » Ce sont deux exemples de tiédeur et de paresse dans l’accomplissement du devoir.
  3. Lorsque la terre, échauffée par la chaleur du jour, s’est refroidie, c’est-à-dire, vers la fin de la nuit. Dans les idées reçues alors, au froid naturel de la terre se joignait l’influence réfrigérante de Saturne, quelquefois, c’est-à-dire lorsqu’il s’élevait au-dessus de l’horizon, après le coucher du soleil.