Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/207

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gouvernement du royaume, et si puissant par de nouveaux acquêts, et entouré de tant d’amis, qu’à la couronne, veuve fut promue la tête de mon fils, par qui de ceux-là commença la race exécrable. Jusqu’à ce que la grande dot de Provence [1] eût à mon sang ôté toute pudeur, peu il valait, mais du moins il ne faisait pas de mal. Alors, par la force et le mensonge, commencèrent leurs rapines : ensuite, pour amende [2], ils prirent le Ponthois, la Normandie et la Gascogne. Charles vint en Italie, et pour amende, fit de Conradin une victime [3], et au ciel renvoya Thomas [4], pour amende. Peu après, je vois un temps où de France est attiré un nouveau Charles [5], pour que mieux soient connus et lui et les siens. Il en sort sans armée, seul avec la lance [6] avec laquelle jouta Judas, et si bien que de Florence elle ouvre le flanc. Par là point de terre il ne gagnera, mais péché et honte, pour lui d’autant plus pesants, que plus léger lui semblera un pareil dommage. L’autre qui sortit ensuite [7], je le vois, pris sur un navire, vendre sa fille, et en trafiquer comme les corsaires des autres esclaves. O avarice, quoi de plus peux-tu faire des miens, après qu’à toi tellement tu les as attirés, que point ils n’ont souci de leur propre chair ?

  1. La Provence, apportée en dot à Charles d’Anjou, frère de Louis XI, par la fille de Raymond Bérenger.
  2. « Pour réparer leurs injustices. » L’ironie se continue dans le tercet suivant.
  3. Conradin, fils de Conrad, et légitime héritier de la couronne des Deux-Siciles, ayant été défait et pris en combattant contre Charles d’Anjou, celui-ci, sacrifiant cette victime à son ambition le fit périr sur un échafaud.
  4. Saint Thomas d’Aquin. On disait que Charles l’avait fait empoisonner, dans la crainte qu’il ne fût contraire à ses intérêts dans le concile de Lyon. Renvoya, parce qu’originairement toutes les âmes viennent du ciel.
  5. Charles de Valois ; il vint en Italie en 1301. Envoyé par Boniface VIII à Florence pour la pacifier, il trompa les Florentins, et, sous prétexte de rétablir l’ordre exerça toute sorte de cruautés.
  6. La trahison.
  7. Charles, fils de Charles Ier, roi de Sicile et de Pouille. sortit de France, en 1282, pour tenter de reconquérir la Sicile, et, dans un combat qu’il soutint contre Roger d’Oria, amiral du roi d’Aragon, fut fait prisonnier sur son navire. Il eut une fille nommée Béatrice, qu’il vendit à Azzo VI d’Esté pour trente mille, ou, selon d’autres, pour cinquante mille florins.