Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/297

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ou plus ou moins [1], beaucoup, et en haut et en bas, en souffrirait l’ordre du monde. Maintenant, Lecteur assis sur ton banc, goûte en ta pensée ces premières libations, si tu veux jouir longtemps avant de sentir la fatigue. J’ai servi la table ; à toi désormais de te nourrir. Rappelle tout mon soin le sujet dont j’ai charge d’écrire.

Le plus grand ministre de la nature [2], qui de la vertu du ciel empreint le monde, et avec sa lumière nous mesure le temps, joint à cette partie mémorée plus haut [3], tournait dans les spires où plutôt se présente chaque heure : et j’étais en lui ; mais du monter je ne m’aperçus, que comme avant le premier penser on s’aperçoit de son venir [4] : et Béatrice [5], elle qui du bien au mieux si soudainement transporte, que son acte ne s’épand point dans le temps, combien de soi-même devait-elle être brillante ! Ce que contenait le Soleil où j’entrai, et ce qui s’y discerne, non par la couleur, mais par la lumière, quelque appel que je fisse à l’esprit et à l’art et à l’expérience, je ne le dirais jamais de manière qu’on se l’imaginât ; mais on peut le croire, et que le voir on désire ! Et que notre imagination reste au-dessous d’une si grande hauteur, ce n’est merveille, jamais œil n’ayant dépassé le Soleil [6].

Telle était là la quatrième famille du haut Père, qui toujours la rassasie, montrant comment il spire et engendre [7].

  1. Si le plan oblique de l’orbite du Soleil et des planètes faisait avec le plan droit de l’équateur un angle plus petit ou plus grand.
  2. Le Soleil.
  3. C’est-à-dire que, le Soleil étant entré dans le Bélier, et décrivant au-dessus de l’horizon un arc plus grand, les jours croissaient.
  4. Il est clair qu’on ne saurait apercevoir une pensée avant qu’elle soit venue, l’aperception étant inséparable de la pensée même.
  5. Béatrice représente ici allégoriquement la grâce divine, comme il est dit plus haut.
  6. N’ayant vu de splendeur qui surpassât celle du Soleil.
  7. Le Soleil, selon Dante, est le séjour assigné au quatrième ordre des bienheureux ; lesquels voient dans le Père l’éternelle spiration de l’Esprit et la génération éternelle du Fils. Le verbe spirare, dont nous n’avons que les composés inspirer, respirer, étant un de ces mots consacrés qui seuls expriment le dogme d’une manière rigoureuse et absolue, nous avons cru devoir le transporter dans notre langue, à l’exemple de Dante, si soigneux de l’exactitude théologique.