flatte [1]. Il tiendra longtemps le front haut, tenant l’autre sous un lourd poids, quoiqu’il en pleure et s’en indigne. Il y a deux justes, mais on ne les écoute point. La superbe, l’envie et l’avarice sont les trois étincelles qui ont embrasé les cœurs. » Ici prit fin son dire lamentable. Et moi à lui : — Je veux que tu m’instruises encore, et que de plus de paroles tu me fasses don. Farinata et le Tegghiaio, qui furent si dignes, Jacopo Rusticucci, Arrigo et le Mosca [2] et les autres qui appliquèrent leur esprit à bien faire. Dis-moi où ils sont, et fais que je les reconnaisse, car un vif désir me presse de savoir s’ils ont en partage les douceurs du ciel, ou les poisons de l’enfer. Et lui : « Ils sont parmi les âmes les plus noires ; le poids de fautes diverses les entraîne au fond. Si jusque-là tu descends, tu pourras les voir. « Mais quand tu seras dans le doux monde, je te prie de me rappeler au souvenir d’autrui [3]. Je ne le dis et ne te réponds plus rien. » Lors, de travers tournant les yeux, il me regarda un peu, puis baissa la tête, et tomba parmi les autres aveugles.
Et le Guide à moi : « Ne se réveillera-t-il plus avant le son de la trompette de l’ange, quand lui apparaîtra la Puissance ennemie, chacun reverra la triste tombe, reprendra sa chair et sa figure, entendra ce qui retentit dans l’éternité. »
Ainsi traversâmes-nous, à pas lents, le sale mélange des ombres et de la pluie, conversant de la vie future. — Maître, dis-je, ces tourments croîtront-ils après la grande sentence ? ou reviendront-ils moindres ? ou seront-ils également cuisants ? Et lui à moi : « Retourne à ta doctrine [4], qui veut que plus l’être est parfait, plus il sente le bien, et aussi la douleur. Bien que jamais ces maudits ne doivent atteindre la vraie perfection, s’attendent-ils néanmoins à être plus parfaits après qu’avant [5]. »
- ↑ « Qui maintenant trompe les Florentins par des paroles flatteuses. »
- ↑ Nobles florentins, que le Poète retrouvera plus tard.
- ↑ « De ceux qui sont encore dans le monde des vivants. »
- ↑ La philosophie d’Aristote.
- ↑ « Après qu’avant la grande sentence, ou le dernier jugement. » Ils seront plus parfaits, parce que le corps et l’âme se seront réunis ; mais leurs tourments croîtront en proportion.