Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/370

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vapeur triomphants [1], qui là s’étaient arrêtés avec nous. Ma vue les suivait, et les suivit jusqu’à ce que la distance par sa longueur l’empêcha d’aller plus avant. D’où la Dame, voyant que j’avais cessé d’être attentif en haut, me dit : « Abaisse ta vue, et regarde comment tu as tourné. »

Depuis l’heure où j’avais regardé d’abord, je vis que j’avais parcouru tout l’arc que forme, du milieu à la fin [2], le premier climat ; de sorte que je vis au delà de Gadès la route où Ulysse s’engagea follement [3], et à l’opposite le rivage où Europe devint une douce charge [4] : et j’aurais de cette aire découvert un plus grand espace, si le Soleil qui, sous mes pieds [5], allait en avant, n’eût été éloigné d’un signe et plus [6]. Mon esprit, toujours plein de l’amour de ma Dame, plus que jamais brûlait de ramener les yeux sur elle. Et si la nature ou l’art, en humaine chair, ou dans ses peintures, prépare aux yeux des appâts, afin par eux de s’emparer de l’esprit, tous ensemble ne paraîtraient rien, près du divin plaisir où me plongea sa splendeur, quand je me tournai vers son riant visage. Et la vertu que je puisai dans ce regard, m’arracha du doux nid de Léda [7], et impétueusement me poussa dans le ciel. Si uniformes en sont les

  1. Le sens est que, « comme sur la terre tombent des flocons de neige, ou de vapeur gelée, des flocons, c’est-à-dire des esprits triomphants, s’élevèrent dans le ciel. »
  2. Du milieu, du méridien, à la fin, à l’extrémité occidentale de l’horizon. — Dante, comme les anciens géographes, place les bornes des climats aux bornes de notre hémisphère qu’il croyait le seul habité.
  3. L’Océan, où Ulysse tenta de pénétrer, et où il périt.
  4. Et à l’extrémité opposée de l’horizon, vers l’Orient, le rivage d’où Jupiter, transformé en taureau, enleva Europe, fille d’Agénor, roi de Phénicie.
  5. Parce que le ciel des étoiles fixes est au-dessus de celui où se meut le Soleil.
  6. Le Soleil, pendant que Dante accomplissait son voyage, était à peu près dans le 22° degré du Bélier, et par conséquent distant des Gémeaux, où se trouvait Dante, de plus d’un signe, c’est-à-dire, du signe intermédiaire du Taureau et d’une partie de celui du Bélier ; une portion de l’hémisphère oriental, vers lequel Dante était tourné, devait nécessairement être privé de la lumière du Soleil.
  7. Du signe des Gémeaux, ou de Castor et de Pollux, fils de Léda.