la gauche, deux damnés nus et déchirés, fuyant, de telle vitesse, qu’à travers la forêt ils brisaient tout obstacle.
Celui de devant : « Accours, accours, ô Mort ! » Et l’autre, qui paraissait souffrir d’aller lentement, criait : « Lappo, tes jambes ne furent pas si prudentes aux joutes de Toppo [1]. » Et puis l’haleine lui manquant peut-être, de lui et d’un buisson il fit un seul groupe. Derrière eux la forêt de chiennes noires, affamées et courant comme des lévriers qu’on vient de détacher, elles enfoncèrent les dents dans celui qui s’était tapi, et le déchirèrent pièce à pièce, puis emportèrent ces lambeaux palpitants.
Alors mon Guide me prit par la main et me conduisit au buisson, qui, à cause des blessures sanglantes, en vain pleurait : « O Jacopo de Sant’ Andrea [2], que t’a servi de te faire de moi une défense ? En quoi suis-je coupable de ta méchante vie ? » Quand le Maître près de lui se fut arrêté : « Qui fus-tu, dit-il, toi qui, par tant de plaies, souffles avec le sang tant de paroles douloureuses ? » Et lui à nous ? « O âmes qui êtes venues pour voir l’indigne saccage qui m’a ainsi dépouillé de mes feuilles, recueillez-les au pied de la tige. Je fus de la cité qui substitua Baptiste à son premier patron [3] ; c’est pourquoi celui-ci l’affligera toujours avec son art [4] : et n’était qu’au passage de l’Arno, de lui se voient encore quelques restes[5], les citoyens, qui de nouveau la fondèrent sur les cendres laissées par Attila, auraient travaillé en vain.
De ma maison je me fis un gibet [6]. »
- ↑ Lappo, de Sienne, grand dissipateur, voyant l’armée siennoise défaite par les Arétins près de la Pieve del Toppo, se jeta en désespéré au milieu des ennemis et se fit tuer.
- ↑ Gentilhomme de Padoue qui, ayant dissipé tout son bien, se tua de désespoir.
- ↑ Florence, auparavant dédiée à Mars, prit pour patron saint Jean-Baptiste, lorsqu’elle devint chrétienne.
- ↑ « Lui suscitera toujours des guerres. »
- ↑ À l’entrée de Pontevecchio, on voit encore un piédestal sur lequel autrefois était une statue de Mars.
- ↑ Quelques-uns croient que Dante parle ici de Rocco de’ Mozzi qui, ayant dissipé de grandes richesses, se pendit pour échapper à la pauvreté ; selon d’autres, il s’agit de Lotto Degli Agli, qui se pendit de remords d’avoir rendu une sentence injuste. Boccace pense que Dante n’a voulu désigner aucun personnage particulier, mais en général tous ceux qui, dans ce temps-là, se suicidèrent à Florence.