Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ensuite partagent les pécheresses [1], ainsi à travers le sable coulait celui-là. Le fond, les deux pentes, et de chaque côté les bords étaient de pierre, d’où j’avisai que là était le passage.

« De tout ce que je t’ai montré depuis que nous entrâmes par la porte dont le seuil à nul n’est dénié [2], tes yeux n’ont rien vu de si notable que ce fleuve sur lequel s’éteignent toutes les flammes. »

Ainsi parla mon Guide ; sur quoi je le priai de m’accorder la pâture dont il m’avait donné le désir. « Au lieu de la mer, dit-il alors, est un pays dévasté qu’on appelle la Crète, sous le roi duquel, autrefois, le monde vécut dans l’innocence. Là s’élève une montagne nommée Ida, jadis riante et d’eaux et de verdure, et maintenant abandonnée comme une chose usée. Rhéa [3] la choisit pour être le sûr berceau de son fils ; et afin de le mieux cacher lorsqu’il pleurait elle y faisait faire des clameurs [4]. Au dedans du mont, debout, est un grand vieillard [5], qui tourne le dos à Damiette, et regarde Rome comme son miroir [6]. Sa tête est d’or fin [7], ses bras et sa poitrine d’argent pur, puis jusqu’à l’enfourchure, son corps est d’airain, et de là en bas, de fer choisi, hors le pied droit qui est de terre cuite, et sur ce pied plus que sur l’autre il se tient debout. Chaque partie, excepté celle de l’or, est rompue, et par la fissure découlent des larmes qui, s’unissant, ont percé la grotte. Tombant de roche

  1. On donnait ce nom, qui signifie source d’eau bouillante, à un petit lac situé à deux milles de Viterbe. Il en sortait un ruisseau que les pécheresses, les courtisanes, partageaient entre elles, c’est-à-dire qu’elles en tiraient, pour l’amener chez elles, la quantité d’eau nécessaire à leurs besoins. Elles affluaient en ce lieu, à cause du grand concours qu’attiraient les bains chauds.
  2. La première porte de l’Enfer.
  3. Femme de Saturne et mère de Jupiter.
  4. Un grand bruit de cymbales et autres instruments, afin que Saturne, qui avait coutume de dévorer ses enfants, n’entendît pas les cris de Jupiter.
  5. Le Temps.
  6. Rome est le miroir du Temps, parce qu’elle doit, selon la pensée du Dante, développée dans son livre de Monarchiâ, durer autant que lui.
  7. Tout ceci est évidemment une imitation de la vision de Daniel.