Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/62

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CHANT SEIZIÈME


Déjà j’étais en un lieu où s’entendait, semblable au bourdonnement d’une ruche, le bruissement de l’eau tombant dans l’autre enceinte, quand trois ombres, en courant, se détachèrent ensemble d’une troupe qui passait sous la pluie de l’âpre martyre. Elles venaient vers nous, et chacune d’elles criait : « Arrête, toi qui, à tes vêtements, nous parais être de notre ville perverse ! » Hélas ! que de plaies récentes et vieilles je vis sur leurs membres sillonnés par les flammes ! J’en pleure encore, quand le souvenir m’en revient. Mon Maître, attentif à leurs cris, vers moi tourna les yeux, et dit : « Attends ! avec ceux-ci il faut être courtois ; et n’était le feu qui darde sur le sol, je dirais que la hâte te convient plus qu’à eux. »

Quand nous nous arrêtâmes, ils recommencèrent leur antique gémissement, et arrivés près de nous, tous trois firent de soi une roue[1]. Et comme, avant de se saisir et de se frapper, les athlètes oints et nus avisent où la proie leur offrira le plus d’avantage ; ainsi chacun d’eux, en tournant, dirigeait vers moi son visage, de sorte qu’au mouvement du cou celui des pieds continuellement était contraire [2]. Si la misère de ce bas lieu et notre face noire et dépouillée attirent le dédain sur nous et nos prières, commença l’un d’eux, que notre renommée ploie ton âme à nous dire qui tu es, toi qui, vivant, meus sans danger tes pieds dans l’Enfer. Celui-ci, dont tu me vois suivre les traces, et qui tout nu et pelé va, fut d’un rang plus élevé que tu ne crois : il fut petit-fils de la bonne Gualdrade ; Guidoguerra [3] était

  1. « Tournèrent en cercle, » parce qu’il leur était défendu de s’arrêter un seul instant.
  2. Les pieds se portant en avant, et le cou en arrière, pour voir Dante et pour lui parler.
  3. De Gualdrade et du comte Guido naquit Ruggieri, et, de Ruggieri, Guidoguerra, qui, à la tête de quatre cents Guelfes de Florence, décida la victoire que Charles Ier remporta dans la Pouille sur Manfred.