Aller au contenu

Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Allemands gloutons, le castor se dispose pour sa chasse [1] ; ainsi la bête mauvaise s’étendait sur le bord des rochers qui enserrent le sable ; elle aiguisait sa queue dans le vide, tordant en haut la fourche vénéneuse, armée de dard comme celle du scorpion. Le maître dit : « Il convient que maintenant notre route se détourne un peu vers cette méchante bête couchée là. » Pour cela nous descendîmes à droite, et fîmes dix pas le long du précipice pour éviter le sable et les flammes. Et quand nous fûmes arrivés à elle, un peu plus loin sur le sable, je vis des gens assis près du gouffre. Ici le maître : « Afin que tu remportes une pleine connaissance de cette enceinte, vas, me dit-il, et vois leur état. Que là tes entretiens soient brefs : en attendant ton retour, à celle-ci je parlerai, pour qu’elle nous prête ses fortes épaules. » Ainsi, encore en haut, sur l’extrême limite du septième cercle, tout seul j’allais là où assise était la gent triste [2]. Par leurs yeux au dehors éclatait leur douleur : d’ici, de là, ils s’abritaient avec les mains, tantôt contre le souffle embrasé, tantôt contre l’ardeur du sol, comme avec les pieds et le museau en été font les chiens, quand ils sont mordus par les puces, les mouches ou les taons. Ayant fixé les yeux sur le visage de quelques-uns sur qui tombait le feu cuisant, je n’en reconnus aucun. Mais j’avisai qu’au cou de chacun pendait une bourse diverse de couleur, et marquée d’un signe divers : et leur œil semblait s’en repaître. Et comme j’allais, en regardant parmi eux, je vis une bourse jaune qui avait la face et le port d’un lion [3] d’azur, puis, continuant de regarder, je vis une autre bourse, rouge comme du sang, montrer une oie plus blanche que le lait [4], et un qui, dans un sachet blanc, avait pour signe une grosse laie azur [5], me dit : « Que fais-tu dans cette fosse ? Va-t’en ! et puisque encore tu vis, sache que mon voisin Vitalien [6] s’assiéra ici à ma gauche. Parmi ces Florentins,

  1. On croyait que le castor, lorsqu’il se préparait à chasser sa proie étendait dans l’eau sa queue huileuse, laquelle attirait les poissons.
  2. Les usuriers.
  3. Armoiries de la famille des Gianfigliacchi, de Florence.
  4. Armoiries de la famille des Ubbriacchi, de Florence.
  5. Armoiries de la famille des Scrovigni, de Padoue.
  6. Vitalien del Dente, de Padoue.