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PRÉFACE

raisonnements scolastiques les plus quintessencié et les plus secs. Tel est cet ouvrage, qui se sent à la fois du génie vigoureux, mais jeune encore, de l’auteur do la Divine Comédie, et du siècle où il a été composé.

Maintenant que le lecteur est averti de ce qu'il pourrait trouver d’étrange dans la forme du livre de la Vie nouvelle, je dirai quelques mots indispensables sur la personne de Béatrice, qui est l’âme de cette première composition de Dante, comme elle vivifia plus tard les grands poëmes de son illustre amant.

Béatrice, nommée aussi par abréviation Bice, est née à Florence en 1266, et elle mourut dans la même ville en 1290, à l’âge de vingt-quatre ans. Dante n’avait que neuf ou dix mois de plus qu’elle. Béatrice était fille de Folco di Ricovero Porlinari, citoyen riche et très-distingué de Florence, qui, entre autres bonnes œuvres qu’il a fuites, fonda l’hôpital de Sainte-Marie-Nouvelle. Les familles Alighieri et Porlinari étaient liées d’amitié, et ce fut dans une réunion pour la fête de mai de l’année 1276, chez le père de Béatrice, que Dante, conduit là par le sien, y vit cette jeune enfant pour la première fois, conçut pour elle une passion mystique, si l’on peut s’exprimer ainsi, et ne cessa pendant toute la vie de Béatrice, et même après sa mort, d’être préoccupé d’elle et de son souvenir. Jusqu’à quel point la passion de Dante a-t-elle été réelle ou imaginaire ? c’est ce que je veux laisser juger à ceux qui liront la Vie nouvelle. On trouvera là tous les faits dont la comparaison pourra aider les curieux à résoudre cette question. Quant à moi, qui me réserve d’en dire plus tard mon avis, je me ferais scrupule de prévenir l’esprit du lecteur d’une manière ou d’une autre à ce sujet ; car, pour lire avec fruit, il faut toujours aborder les livres sans prévention, sans opinion communiquée d’avance. Si la lecture en devient un peu plus laborieuse, le profit que l’on en tire est infiniment plus grand, car on a senti, comparé et jugé par soi-même.

Mais, pour fournir les moyens de faire apprécier au juste le degré de réalité de la passion de Dante pour Béatrice, je dois d’abord fixer les idées sur le caractère de l’amour platonique qui fut, au résultat, le sentiment que fit naître, la pensée qu’entretint Béatrice dans l’âme de Dante, et dont on trouve constamment la peinture et l’expression dans la Vie nouvelle.

Or c’est dans les écrits du philosophe même qui a donné son nom à cette doctrine singulière que je puiserai l’exposition la plus claire qui eu ait jamais été faite, et je vais rapporter ce que Platon fait dire à Socrate sur cette matière, dans son Banquet :