mon imagination me fit voir l’Amour. Il me semblait venir d’auprès d’elle, et parler à mon cœur d’un air joyeux. « Bénis le jour où je t’ai pris, disait-il, parce que tu dois le faire. » Et je me sentis le cœur si joyeux qu’il me sembla que ce n’était pas mon propre cœur, tant il était changé.
Et peu après ces paroles que mon cœur me disait dans la langue de l’Amour, je vis venir vers moi une femme charmante : c’était cette beauté célèbre dont mon meilleur ami[1] était très épris, et qui exerçait sur lui beaucoup d’empire. Elle avait nom Giovanna[2] ; mais à cause de sa beauté sans doute on l’appelait Primavera[3]. Et en regardant derrière elle je vis l’admirable Béatrice qui venait.
Ces dames s’approchèrent de moi l’une après l’autre, et il me sembla que l’Amour parlait dans mon cœur et disait : « C’est parce qu’elle est venue la première aujourd’hui qu’il faut l’appeler Primavera. C’est moi qui ai voulu qu’on l’appelât Prima verrà[4], parce qu’elle sera ve-