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INTRODUCTION.

un cours régulier et fixe ; car il n’y a rien de spontané, de noble et d’indépendant comme l’amour divin. Mais l’homme abuse souvent de sa liberté pour altérer et corrompre les meilleures choses. Bon comme tous les sentiments que Dieu met dans notre âme, le mysticisme peut être mal compris et mal appliqué. Vivant et énergique comme tout ce qui jaillit du cœur, il peut dégénérer en exaltation délirante. Arbre fécond, il faut le cultiver avec amour, mais aussi avec intelligence, de peur que sa sève divine ne se perde en productions inutiles ou funestes. On peut pousser le courage jusqu’à la fureur, la bonté jusqu’à la faiblesse et le sentiment mystique jusqu’aux erreurs de l’Évangile éternel et aux folies théosophiques de Jacob Bœhme[1]. Ce sentiment vague et indécis par lui-même a donc besoin d’être discipliné. Aussi, afin qu’il ne reste pas aux hommes de bonne volonté l’occasion inévitable de s’égarer eux-mêmes ou de séduire les autres, des principes sont consacrés et une doctrine existe par où la vérité se distingue de l’erreur et la véritable dilection, des mouvements d’un extravagant amour. Le mysticisme doit, par conséquent, être l’objet de la théologie qui règle les rapports de l’homme avec Dieu.

Comme les autres sciences, la théologie mystique fut pratiquée avant d’être réduite en système scientifique ; car tous étant destinés à rechercher et aimer Dieu, il faut qu’on puisse arriver là sans ces théories habiles que la foule ne comprend jamais bien. Par cette raison et parce que toutes choses sur terre ont leurs périodes diverses d’accroissement et de décadence alternatifs, le mysticisme

  1. L’Évangile éternel, attribué à l’abbé Joachim, renferme, outre des erreurs sur le dogme de la Trinité, certaines idées dont s’emparèrent les faux mystiques et les hérésies des treizième et quatorzième siècles. Il fut condamné par le concile œcuménique de Latran (1215), par Alexandre IV (1256), par le concile d’Arles (1260). — Sur Jacob Bœhme, illuminé allemand, dont le théosophe français, Saint-Martin, a traduit quelques ouvrages, voyez les historiens de la philosophie. Bœhme, né en 1575, mourut en 1624.