Page:Darien, Bas les coeurs, Albert Savine éditeur, 1889.djvu/51

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et les broderies des uniformes éclatent au soleil, les drapeaux clapotent aux hampes où l’aigle ouvre ses ailes, les fers des chevaux luisent comme des croissants d’argent et l’on sent planer au-dessus de cette masse d’hommes parés pour le combat, au-dessus de ces bêtes de chair et de fer qui vont se ruer à la bataille, quelque chose de terrible et de grand, qui vous bouleverse. Le sang gonfle les veines, la fièvre vous brûle, et il faut crier, crier, crier encore, pour ne pas devenir fou.

Ah ! j’ai crié : « À Berlin ! » depuis quelques jours. Je m’en suis donné à cœur-joie. J’en ai presque attrapé une extinction de voix. Pourvu que je puisse encore acclamer le régiment qui va venir…

― Est-ce qu’il va se décider, à la fin ? demande Léon qui s’impatiente. Si nous allions un peu plus loin ?

― Mais non, mais non, nous sommes bien ici.

C’est jour de marché, aujourd’hui. La place est pleine de paysans qui ont apporté leurs légumes ; leurs étalages sont sous les arbres, et, par-ci par-là envahissent les trottoirs. Nous nous sommes casés entre une marchande de