Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/101

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— C’est raide tout de même.

— Écoute donc quelque chose de plus raide encore, si c’est possible. J’avais, dans le groupe dont je faisais partie, à Paris, deux camarades qui ont tiré au sort en même temps que moi. Ils ont eu de bons numéros. Ils n’avaient qu’un an à faire. On les a expédiés dans un régiment en garnison du côté de Bordeaux ; ils y ont passé huit jours et, au bout de cette semaine, sans jugement, sans rien, sans les faire passer au conseil de guerre ni au conseil de corps, sans les prévenir, on leur a mis les menottes aux mains et on les a envoyés, entre deux gendarmes, comme deux malfaiteurs, dans un régiment dont j’ai oublié le numéro, mais qui occupe plusieurs points dans le Sud-Oranais.

— Ah ! oui, continue-t-il au bout d’un instant, on voit de drôles de choses. Pourtant, à vrai dire, il n’y a là rien d’étonnant. Avec un gouvernement bourgeois !… Tu as l’air d’avoir reçu de l’éducation, toi ? Tu es bachelier, au moins ?

— Oui.

— T’es-tu occupé quelquefois des questions sociales ?

— Très peu.

— Ah ! Eh bien ! si tu veux, je t’instruirai là-dessus, moi. Tu verras qu’il n’y a pas que du coton dans nos idées, à nous, et qu’il n’y a pas besoin de savoir le latin pour voir clair. C’est curieux comme, généralement, les gens instruits sont bêtes. Tiens, il y a là, au bout de la tente, un grand garçon, bachelier aussi, pas mauvais diable, mais si peu malin ! Il ne se rend même pas compte de sa situation, l’animal, et, quand il sera rentré dans la vie civile, si jamais il y a un coup de chien, je suis sûr qu’il nous canardera avec