Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/181

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Et il passe devant le rang, inspectant la tenue, soulevant les sacs, pour s’assurer qu’ils ont bien le poids réglementaire ― un poids incroyable.

— Pourquoi n’avez-vous pas astiqué les boutons de votre capote, vous ?

— Parce que j’ai peur de les user.

— Comment vous appelez-vous, déjà ?

— Hominard.

— Bien, Vous aurez huit jours de salle de police avec le motif. Vous verrez si ça fait des petits.

— Pourvu qu’ils soient moins vilains que toi, c’est tout ce qu’il me faut.

Le chaouch ne répond pas. Il fait mettre baïonnette au canon et commande du maniement d’armes en décomposant :

— Portez armes !… Deux !… Trois !

Et il espace ses commandements ! Chaque mouvement dure plus de cinq minutes. C’est qu’il est fait depuis longtemps, le pied-de-banc, à ces luttes quotidiennes entre gradés et disciplinaires qui, outrés, poussés à bout, se fichant de tout excepté du conseil de guerre, ont appris par cœur le code pénal et font essuyer à leurs bourreaux toutes les avanies, tous les outrages que la loi n’a pas prévus. Ce sont eux qui ont imaginé de ne jamais parler aux chaouchs qu’en les tutoyant, le tutoiement étant considéré comme un acte d’indiscipline, mais non comme une injure. Ils n’iront jamais, ceux-là, traiter un gradé d’imbécile ; mais ils lui diront, vingt-cinq fois par jour que, sur cent individus, lui compris, quatre-vingt-dix-neuf sont doués d’une intelligence de beaucoup supérieure à la sienne. Ils répondront à ses coups de fouet par des coups d’épingle et à ses brutalités par des vexations sanglantes. Picadores qui ont entrepris