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Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/218

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découvert quelques faces décidées, j’ai vu bien des physionomies d’indécis et d’irrésolus. Je devine que j’ai devant moi des abêtis qui n’ont même pas eu le courage d’être lâches tout de suite et qui se sont emballés, ce matin, surtout parce qu’ils ont vu éclater l’indignation de quelques crânes. Leur demi-journée d’insoumission commence à leur peser, et je sens que, malgré eux peut-être, d’un instant à l’autre, leur colère va tomber à plat. Ces moutons transformés subitement en loups vont redevenir des moutons. Je sens qu’il n’y a rien à tenter avec ces molasses. Je sens que, si nous levions nos fusils contre les assassins de Barnoux, ils se précipiteraient pour nous retenir les bras, ― heureux de racheter leur rébellion par de l’aplatissement, ― ou nous casseraient la tête par derrière.

Et puis, je ne suis pas d’avis de recourir à la violence. Si j’avais été là ce matin, à quatre heures, quand on a relevé le cadavre, j’aurais été le premier à prêcher la révolte et peut-être à envoyer une balle dans la peau d’un des étrangleurs. Maintenant il est trop tard.

Il y a une autre raison encore. En dehors de la vengeance immédiate, toujours excusable, je ne comprends la mort d’un homme que comme sanction d’une idée juste. Ici, l’exécution des misérables ne prouverait rien. Elle serait la conséquence méritée de leur férocité, et voilà tout. Si, un jour, quand l’heure sera venue de jeter par terre le système militaire, il faut répandre du sang, ― et il le faudra, ― on les retrouvera, les tortionnaires. Eux ou d’autres, peu importe. Tous les individus qui composent une caste sont solidaires les uns des autres.