Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/304

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J’ai compris que cet homme, outré de me voir partir, moi qu’il déteste, cherchait une querelle d’Allemand. Je n’ai rien dit. Je ne veux rien dire de toute la soirée. Il est six heures ; je vais aller me coucher sous un marabout dont je ne bougerai pas jusqu’à demain. Je ne veux pas me donner à moi-même l’occasion de faire une sottise, de compromettre ma liberté que je touche ― enfin.


Je suis étendu sous une tente. Je fais semblant de dormir, pour qu’on me laisse tranquille, mais je ne dors pas. Je pense.

Je pense à cette armée que je vais quitter. Je l’envisage froidement, laissant de côté toutes mes haines.


C’est une chose mauvaise. C’est une institution malsaine, néfaste.

L’armée incarne la nation. L’histoire nous met ça dans la tête, de force, au moyen de toutes les tricheries, de tous les mensonges. Drôle d’histoire que celle-là ! Dix anecdotes y résument un siècle, une gasconnade y remplit un règne. Batailles ! batailles ! combats ! Elle a osé fourrer la Révolution dans la sabretache des généraux à plumets et jusque dans le chapeau de Bonaparte, comme elle a fait bouillir le grand mouvement des Communes qui précéda la bataille de Bouvines dans le chaudron où les marmitons de Philippe-Auguste ont écumé une soupe au vin. Elle prêche la haine des peuples, le respect du soudard, la sanctification de la guerre, la glorification du carnage…

Ah ! Mascarille ! toi qui voulais la mettre en madrigaux, l’Histoire !

Elle nous a donné le chauvinisme, cette histoire-là ;