Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/32

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— Depuis ce temps, comment as-tu vécu ? Je l’ignore et ne veux pas le savoir. À quoi t’es-tu occupé ? À écrire. Des bêtises. Tu as fait des vers ― on me les a montrés. Des vers abominables, dans lesquels tu appelles môssieur Thiers « Géronte assassin » et Gambetta « Cromwell de carton » et « diminutif de Mirabeau. » Sais-tu pourquoi, seulement ?

Je fais signe que non. Je ne sais pas pourquoi.

Mon oncle hausse les épaules.

— Je m’en doutais !

— J’en étais sûre, fait ma tante.

— Convaincue ! appuie ma cousine.

— Tu es parti de chez ton père. Tu as dû mener une vie misérable, manger dans d’ignobles gargotes, coucher dans des repaires infâmes…

Ma cousine se bouche les yeux.

— D’ailleurs, tes vêtements en disent long…

— À propos, fait ma tante, nous te retiendrions bien à dîner, mais, tu sais, c’est aujourd’hui vendredi ; nous faisons maigre et, comme tu es protestant…

Je suis protestant, en effet, mais je crois que, pour le moment, ce sont mes habits qui protestent.

— En effet, dit mon oncle, il faut respecter toutes les convictions. Ç’a toujours été mon avis. Eh bien ! mon ami, puisque tu vas entrer dans une nouvelle carrière, prends la ferme résolution de t’y bien conduire ; sois respectueux et obéissant à l’égard de tes chefs ; le régiment est une grande famille dont le père est le colonel et dont la mère est la France. Quels que soient les ordres qu’on te donne, ne les examine pas, ne les critique jamais ; exécute-les les yeux fermés…

Ça ne doit pas toujours être commode.

— Le plus bel avenir s’ouvre devant toi. Tu peux te