Petit Journal et que découpent quotidiennement de religieux ciseaux de concierges. Comment sont-ils venus ici, ces deux cents morceaux de papier reliés d’un morceau de carton gris et collés avec de la sauce blanche ? Mystère. Le feuilleton est idiot, c’est évident, mais je me mets à le lire avec conviction, à la lueur vacillante d’un lampion. Je tourne les pages, sans comprendre grand’chose, ne cherchant même pas à comprendre, tellement l’histoire m’intéresse, mais m’évertuant à dénicher le sommeil que le feuilletoniste a certainement dissimulé adroitement, ― comme on cache la baguette à cache-tampon, ― entre les lignes vides de sens et les phrases creuses. J’ai beau faire, je ne puis le trouver, le sommeil. J’en suis furieux. Est-ce que je manque d’adresse, ou est-ce qu’il y a réellement tromperie sur la qualité de la marchandise ?…
Que faire pour tuer le temps, pour chasser les pensées tristes, les idées noires qui m’assiègent, qui tourbillonnent autour de moi comme ces insectes de nuit qui vous harcèlent et qu’on ne peut écraser ? Les hommes de garde couchés à côté de moi ronflent à poings fermés. Je sors pour essayer de causer avec le factionnaire ; c’est justement un croquant, un Limousin pâteux qui n’est pas fichu d’expectorer deux mots en trois heures. De rage, je rentre et je reprends mon feuilleton. Cette fois-ci, quand le diable y serait, il me donnera le sommeil moral, puisqu’il n’a pas voulu m’accorder le sommeil physique ; et je me mets à le dévorer au grand galop, lisant à demi-voix pour m’étourdir, bredouillant comme un prêtre qui rabâche son bréviaire, me fourrant les doigts dans les oreilles comme un gosse qui s’aperçoit, à la dernière minute, qu’il ne sait pas un mot de sa leçon.