Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/95

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Y ai-je assez souffert, mon Dieu ! sur ces chantiers, pendant les quatre mortelles heures de travail de l’après-midi ! Il s’agit de creuser une rampe conduisant facilement à la Medjerdah qui coule à deux cents mètres du camp. On m’avait muni d’une pioche. Il y avait certainement deux heures que je m’escrimais avec cet instrument, que je n’avais pas encore abattu assez de terre pour cacher le fond de la brouette. C’est qu’elle était dure en diable, cette terre ! Il m’en venait des calus aux mains, je suais à grosses gouttes, j’avais les bras rompus et je n’avançais pas. Les chaouchs qui nous gardaient, le revolver au côté, venaient bien, à tour de rôle, me menacer de me fiche dedans et me traiter d’imbécile. Ça m’encourageait un peu, évidemment, mais mon outil persistait à ne faire au sol tunisien que d’insignifiantes blessures. J’étais forcé de m’avouer que je n’étais pas plus adroit de mes mains qu’un cochon de sa queue.

Je devais bénéficier, il est vrai, d’une circonstance atténuante : j’étais gêné, très gêné dans mes efforts. Chaque fois que je portais la tête en avant et que j’étendais les bras pour accompagner le coup de pioche, mon képi me descendait sur les yeux. Je n’y voyais plus clair du tout. À la fin, exaspéré, j’ai pris le parti de mettre mon couvre-chef en arrière, en casseur d’assiettes, la grande visière en l’air, toute droite, menaçant le ciel.

Un caporal est accouru.

— Vous n’en foutez pas un coup ! bougre de feignant ! Vous avez de la veine que ce soit la première journée ! Si vous travaillez comme ça demain, gare à votre peau ! Et puis, qu’est-ce que c’est que cette manière de se coiffer à la d’Artagnan, avec un air de se fiche du peuple ? Coiffez-vous droit !