et quand on a une jolie femme, c’est elle qu’il faut envoyer faire les demandes. Elle n’a qu’à aller de l’avant, et ça réussit toujours.
C’est bien extraordinaire ; je me demande encore si Gédéon ne se moque pas de moi. Pourtant, tous les habitants de Versailles, tous les gens qui vivent auprès de moi, semblent envisager les choses de la même façon que lui… À tout hasard, je me risque à remarquer :
— Il serait peut-être encore plus simple, pour venir à bout de l’ennemi, de prendre un fusil et de lui tirer dessus.
— J’aurais pensé de la même façon, il y a seulement quinze ans, répond Schurke avec son sourire bizarre. Mais l’expérience m’a instruit. D’ailleurs, elle m’a instruit trop tard ; autrement, je ne serais pas aujourd’hui un valet de pied… Quand j’ai compris qu’il faut hurler avec les loups, j’avais usé ma voix à hurler contre eux… Pour en revenir à notre façon spéciale de conduire les hostilités, je dois vous dire que le grand point, à la guerre, est bien moins l’affaiblissement de l’adversaire, que l’augmentation des forces dont on dispose. Nous augmentons nos forces. Nous nous réservons pour la revanche future. Aussi, lorsque les Allemands, après être sortis de France, voudront y revenir, ils auront les idées les plus fausses sur la véritable force du pays, et seront aisément battus.
— Et alors, vous irez à la guerre, à la vraie guerre ?
— Ça dépend, répond Schurke au bout d’un instant. Si je ne possède rien, je n’irai pas. Si je possède quelque chose, j’irai. À moins, bien entendu, que je ne trouve des gens qui ne possèdent rien disposés à aller se battre pour moi.
Là-dessus, Gédéon Schurke me salue et se retire. Je reste perplexe. Je méprise cet homme, je méprise ce qu’il m’a dit, et cependant il m’intéresse. Je ne regrette