Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/12

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s’ouvrent pas, ces portes-là ; et il faut que le soldat vienne, et les enfonce à coups de canon !



Je me souvenais de cette soirée, avant-hier, pendant que je m’étonnais de la lenteur avec laquelle M. Gabarrot montait la rue du Bac, où il demeure, et où demeurent aussi mes parents, pour me conduire aux Tuileries. Il ne m’a pas grondé, comme d’habitude, quand je me suis arrêté, d’abord au coin du Pont-Royal pour admirer la Frégate, puis sur l’autre quai afin de regarder s’il ne venait pas des soldats du côté de la place de la Concorde. Mais c’est le matin que passent les soldats, vers dix heures, pour aller relever la garde du Château ; qu’ils arrivent, avec, en tête, les sapeurs si terribles, le scintillement de l’énorme hache à l’épaule, caparaçonnés de tabliers de cuir blanc, coiffés de bonnets velus comme des ours, hauts comme des tours et fleuris de plumets écarlates ; alors, la canne merveilleuse du tambour-major s’élance vers le ciel, telle une étrange flèche d’or, tournoie, paraît planer, retombe dans la main du colosse qui suit les sapeurs et dont la tête empanachée domine leurs bonnets à poils ; alors, la canne décrit des moulinets épiques, sa grosse pomme étincelle ainsi qu’une boule de feu ; elle vibre, elle frémit, elle semble vivante ; et alors, elle jaillit de nouveau, glorieuse, si haut cette fois qu’on ne s’attend plus à la voir redescendre. Le géant se retourne vers ses tambours dont les doigt se crispent sur les baguettes, leur donne un ordre, fait volte-face, et, juste à temps, sa main se ferme sur la canne qui retombe et dont le bout brillant, au lieu de toucher la terre, se met à voltiger ainsi qu’un papillon. Les tambours frappent les caisses qui résonnent à vous faire trembler, les sonneries des clairons déchirent l’air, et le bataillon passe dans l’éclat