Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/16

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est pâle et fatiguée, simplement. Ils semblent aussi avoir une grande difficulté à parler. Malgré les exhortations de ma mère, je prie M. Gabarrot de me faire encore une fois le récit qu’il m’a fait avant-hier. Il commence, d’une voix pâteuse et sourde ; mais une quinte de toux l’interrompt presque aussitôt. Ma mère s’empresse auprès de lui, et mon père me prend par la main, pour m’emmener hors de la chambre. Mais, comme nous sommes sur le seuil, j’entends la voix du colonel, très basse, mais impérative, qui me rappelle.

— Jean !

Je me retourne. Il est assis, le buste d’aplomb, les yeux grands ouverts et brillants, le bras droit levé comme pour un terrible coup de taille ; et au bout de ce bras il me semble voir une lame qui descend, en sciant, sur un poignet tendu.

— Jean !… Nous… coupions… les… mains…

Le colonel s’affaisse dans le fauteuil, et sa tête se renverse sur le dossier.



Mes parents vont à l’enterrement ; et Lycopode (c’est ma bonne, qui s’appelle Victoire, mais qu’on appelle Lycopode) me conduit jeter de l’eau bénite sur le cercueil. Les épaulettes du colonel, son épée et sa croix, sont placées sur le drap noir. Il y a des soldats rangés en bataille, avec des tambours voilés de crêpes et un drapeau déployé à la hampe duquel l’aigle a crispé ses serres ; un groupe nombreux d’officiers en grand uniforme ; et des curieux innombrables, hommes qui passent chapeau bas, femmes qui saluent en se signant…

Lycopode me ramène à la maison par le chemin des écoliers ; pour me distraire, me dit-elle, mais je crois que c’est afin de passer par la rue de Lille, où sont casernés