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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/176

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XI


Je dois avouer que je ne suis ému d’aucune fierté lorsque, vers le soir, j’endosse pour la première fois mon uniforme. Je ne suis nullement boursouflé des dilatations de l’amour-propre ; je ne sens pas monter en moi, à la vue des dorures qui chatoient sur le drap neuf de mes habits, les grisantes fumées de l’orgueil.

Il m’est impossible de me défaire d’idées sérieuses et désagréables. Je vois clairement que mon entrée dans la vie — ce que j’ai désiré et considéré jusqu’ici comme mon entrée dans la vie — n’est que mon admission dans une caste. La vie ? Je n’ai qu’à imaginer une action au moins moralement indépendante des liens de l’association, pour me rendre compte de son impossibilité. Si la patrie est l’armée, et si l’armée est la caste des officiers, cette caste est une immense machine à fabriquer le patriotisme artificiel ; et chacune des individualités qui la composent devient un rouage. Je ne serai donc, ainsi que tout ce qui porte l’épaulette, qu’un ressort, qu’un automate. Et s’il m’est jamais permis d’affirmer ma personnalité, ce ne sera que dans les poursuites extra-militaires, dans la chasse aux plaisirs et aux honneurs, à l’argent — et encore, conformément aux usage de l’armée.

Un automate. Mais pourrais-je être autre chose ? Si je